Aller au contenu

Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LE PRÉSENT.

qui l’entouraient pour voir combien plus d’uniformes français ou étrangers étaient couchés sur le sol. Elle se trouvait non loin de la lisière du bois, à l’endroit ou s’était passée l’action la plus furieuse de la journée. Un régiment formé en carré avait résisté là pendant deux heures aux charges opiniâtres de cinq à six mille cavaliers russes, et on pouvait suivre à la disposition des corps étendus à terre les diverses péripéties de l’attaque et de la défense. Ici la ligne des morts était droite et comme tirée au cordeau ; ils n’avaient, pas reculé d’un pas pour mourir. Là, elle était flottante et brisée et des cadavres ennemis, hommes ou chevaux, étaient couchés dans l’enceinte sacrée. Marguerite, remise de sa frayeur, marchait lentement le long d’un des fronts du carré ; avec sa longue robe brune, c’était comme un génie funèbre qui passait la revue des morts ; un nuage s’étendait sur ses traits et les obscurcissait de douleur, quand elle voyait percé de coups de sabre quelque jeune soldat comme son frère couvrant de son corps son poste de combat et les quelques pieds de la terre de la patrie dont la défense lui avait été confiée.

Tout à coup il lui sembla entendre le même bruit qui l’avait arrêtée avec Baptiste pendant qu’ils traversaient la plaine ; c’était quelque chose qui ressemblait à un gémissement étouffé. Elle écouta, ce n’était point une illusion ; ce qui frappait son oreille, c’était bien le bruit de la respiration embarrassée d’une poitrine humaine ; tantôt très-haute, tantôt si faible qu’elle n’eût pu remuer un brin d’herbe, elle était toujours perceptible au milieu du silence qui couvrait la plaine.

Marguerite ne songea point à fuir, elle s’arrêta et prêta son attention pour découvrir de quel côté venait le bruit. C’était du milieu des quelques arbres qui s’élevaient là en bouquet, elle y courut, et un cri de pitié vint expirer sur ses lèvres.

Adossé contre le tronc d’un chêne, un jeune homme, presque un enfant, revêtu de l’uniforme des officiers russes, semblait près d’expirer. Son habit entr’ouvert laissait voir à la poitrine une plaie dont les lèvres couvertes d’une légère écume rouge paraissaient aspirer incessamment à l’intérieur de son corps une nouvelle gorgée de sang. Sa figure pâle était d’une exquise délicatesse ; son casque était à côté