Aller au contenu

Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
203
L’ANNÉE DES COSAQUES.

— Veuillez, monsieur le comte, présenter à Sa Majesté mes très-humbles remercîments.

— Je n’y manquerai pas, mademoiselle. Maintenant que mon rôle officiel est terminé, dis-moi, Georges, n’ai-je pas bien rempli ma mission, et avec la dignité qui convient au représentant d’un grand souverain ? Je crois que je ne ferais pas mal de passer dans la diplomatie. Qu’en dis-tu ?

— Comte, mon ami, tu mourras dans l’enveloppe d’un fou.

— Je l’espère bien, mordieu ! Pardon, mademoiselle ; depuis tantôt trois ans que je ne converse qu’avec mon sabre, mon cheval et mes cavaliers, j’ai fait dans tous mes discours une foule de petits compartiments où je loge une quantité incroyable de jurons. J’ai beau exercer une surveillance active à la barrière de mes dents, comme dit, je crois, un vieux pédant appelé Homéros, que j’ai connu autrefois à l’université de Wilna, il en passe toujours quelques-uns en fraude. À la bonne heure, Georges, voilà un modèle. Il parle encore avec la même noblesse qu’en sortant du salon de Mme la princesse Bariatinsky.

— Tu te moques de moi, et, pour te punir, je t’invite à dîner.

Le dîner servi, Ostrowki continua à pérorer, riant, mangeant, buvant surtout, sans perdre en aucune façon les étriers. Marguerite souriait de temps en temps et songeait à son frère. Cette visite annoncée pour la nuit l’inquiétait. Quel pouvait être le projet de Baptiste ?

— Qu’avez-vous, Marguerite, dit Georges, vous semblez soucieuse.

— Ce n’est rien, un léger mal de tête seulement.

— Vous avez mal à cette jolie tête, dit Ostrowki. Veuillez accepter un doigt de ce vin de Bordeaux, qui est exquis.

Marguerite refusa, en souriant du remède.

— Vous avez tort, mademoiselle, c’est souverain. Mais je songe que mon bavardage doit vous fatiguer. Excusez-moi, je vous prie, et même, si vous voulez bien le permettre, je vais me retirer.

Il se leva, rajusta son épée et s’inclina pour prendre congé.

— Je suis désolée, monsieur le comte, de vous avoir reçu d’une façon si maussade. Mais veuillez attendre monsieur. Il va sans doute vous accompagner.

Elle désignait Georges ; c’était son congé pour la soirée ; il le comprit, baisa la main de Marguerite et sortit avec Ostrowki.

(La suite au prochain numéro.)

Alexandre MONIN.