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LE PRÉSENT.

facile à l’oubli ! — Et ta cousine Hélène, cette amourette d’écolier que tu endossas en quittant ton uniforme de collège ? Quelle paire d’yeux elle avait, des yeux qui demandaient l’aumône ! — Et, dix mois après, Mme de N…, qui avouait trente ans, c’est-à-dire les trois quarts de son âge, et qui accepte ton cœur dont tu ne savais que faire ? — Et cette petite actrice d’un petit théâtre, qui, avec les plus blanches dents du monde, te croque une vingtaine de mille francs nés de la mort d’un oncle ? — Et cette modiste à la mode qui voulait te rendre père malgré toi ? — Et les autres, brunes ou blondes, ou châtaignes, comme dit la chanson ? Je me rappelle même une rousse. Va, ton cœur est un sérail. Marietta est aujourd’hui la sultane favorite. Quand ce beau feu de paille sera éteint, nous en rirons, n’est-ce pas ? Regarde-toi dans la glace, Albert. La piteuse mine ! L’amour t’enlaidit : tu deviens maigre à vivre ainsi de soupirs et d’insomnies. Elle n’est point femme à t’en récompenser. On te recherche dans le monde, tu es riche, bien fait, beau danseur, aimable de visage ; tu as de l’esprit ; tu chantes la romance sentimentale comme feu Garat ; se voir aimée par toi est une caresse pour sa vanité, rien de plus. C’est une coquette avide d’hommages ; sa place serait une niche de madone, si elle joignait à la beanté qu’elle a, la candeur qu’elle n’a pas ; elle veut être adorée, c’est sa vocation. Pauvre fou qui te crois aimé ! pauvre fou qui aimes ! Ton amour la flatte, c’est de l’encens, elle le respire avec délices et s’en enivre, sans s’inquiéter de l’encensoir. Tu veilles à cette heure où tous les honnêtes gens sommeillent, tu as le cœur plein d’elle, et elle dort paisiblement, sans même rêver à toi ; elle ronfle peut-être.

Ce mot trivial, qui le faisait tomber du ciel, le révolta. Il rentra dans sa chambre sans me serrer la main et ferma violemment sa porte. À quelque chose malheur est bon : j’y gagnai une nuit de repos.


III

Marietta était coquette, — quel dommage ! Ce que Dieu avait mis de trop sur son visage, il semblait l’avoir ôté de son cœur. Albert seul aimait et Marietta se laissait aimer.

Le grand art de la coquetterie, c’est de paraître simple, naturelle et comme tout le monde, et la jeune fille savait son rôle à merveille sans