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LA ROSE DU BENGALE.

l’avoir jamais appris. Elle jetait par-ci par-là de l’espérance à son amoureux, qui parfois s’effrayait de son bonheur. Elle savait chaque jour lui accorder quelque chose, pour le tenir en haleine, mais bien peu, tout en ayant l’air de donner beaucoup ; elle causait avec lui sur le seuil du boudoir de l’amour, la porte à demi fermée. À mesure qu’Albert avançait dans l’intimité de Marietta, celle-ci reculait de quelques pas, et le pauvre diable était presque toujours à peu près à la même distance, mais, le soir venu, il songeait au chemin qu’il avait fait et il espérait de plus en plus. La beauté du visage commence l’amour et le rajeunit, l’esprit l’alimente ; lecœurseulle rend durable. J’en ai peur, cet amour-là n’ira pas loin.

Du reste, — qu’en pensez-vous, mesdames ? — il est bon qu’une fois dans sa vie un homme s’éprenne d’une femme qui venge les autres femmes. Que chacun cherche dans son cœur ! N’y trouvera-t-il pas une petite infidélité ou une grande trahison ? Ces bagatelles s’oublient vite ; mais voici une coquette qui va réveiller vos souvenirs. Prenez garde ! elle arrive parée de sa jeunesse et de sa beauté : ce sont ses armes. Elle est bien léchée comme une chatte blanche dont la patte est fine et plus douce que le velours ; vous jouez avec elle, elle joue avec vous, fait le gros dos, se laisse câliner ; mais si, en la caressant, vous dérangez sa robe fourrée d’hermine, elle allonge sa griffe mignonne et vous égratigne délicatement la main ou le cœur ; elle vous blesse en souriant pour vous faire chérir la blessure ; alors vous regardez couler votre sang ou vos larmes, vous souffrez, mais vous aimez et vous êtes heureux.

Albert avait souvent aimé, et, si l’amour est un cas de conscience, il n’aurait plus connu le sommeil. Esprit léger, cœur oublieux, rien n’égalait son horreur pour la peine, si ce n’est sa fougue dans le plaisir : il s’y précipitait tête baissée, ne reculant jamais devant une folie et ne s’en repentant jamais ; aussi avais-je lieu de m’étonner qu’à l’inconstance de l’amour il n’ajoutât pas sa propre inconstance. Mais l’obstacle irrite le cœur ; et, d’ailleurs, je ne sais pourquoi, les coquettes sont peut-être les femmes qu’on aime le plus, sinon le mieux.

Mon ami devint complétement fou ; j’en eus pitié. Que n’a-t-on inventé une tisane contre l’amour ! Personne n’en voudrait boire. Pourquoi ne le traite-t-on pas comme la fièvre ? On préférerait en