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LE PRÉSENT.

mourir. Il n’a d’autre remède que lui-même, et les amants n’en sont point fâchés ; c’est aussi la lune de miel des époux. Cependant à force d’user du remède et d’en abuser, le mal se guérit, l’amour déménage, on se trouve d’abord très-malheureux, on fait des élégies, on pleure même, puis peu à peu on s’essuie les yeux ; on ôte quelques jours après le crêpe de deuil qu’on avait au cœur, et l’on recommence.

Le premier soin d’Albert fut de louer une chambre en face du logis de Marietta, rue d’Antin. Je vous laisse à deviner qui avait le nez à la fenêtre, matin et soir, par le soleil ou par la lune. Mon compapagnon m’avait quitté pour courir les hasards de l’amour ; je le voyais à de rares intervalles, je le rencontrais par occasion, et mon rôle de confident obligé était fini. Le sommeil, chère habitude, me revint, la santé avec lui. Certes, il était temps, car mes joues étaient jaunes comme les dernières feuilles de novembre. Albert, lui, dépérissait à vue d’œil. Aimez donc ! L’amour, dans les mains d’une coquette, devient une arme mortelle. Rassurez-vous, mon ami n’en mourut pas.

Il passait presque toutes ses nuits accoudé sur le balcon de sa fenêtre, causant avec les étoiles, et il se fatiguait les yeux et le cœur à regarder aux vitres d’en face une obscurité immobile. Dans cette serre était sa fleur, dans ce temple son idole. Épuisé et les bras rompus, lui arrivait-il de se mettre au lit, il y était aussi mal à l’aise que saint Laurent sur son gril ; il se tournait, se retournait, parlant tout haut à sa bien-aimée absente, et mordant son oreiller qui n’en pouvait ; mais Marietta, que faisait-elle ? Elle n’avait garde de se dépenser si vite et de mettre tout son cœur dans un baiser. Tenant son amant suspendu entre la crainte et l’espérance, elle se ménageait, était avare de sa personne, comptant les œillades et pesant les sourires, et elle ne donnait enfin que ce qu’il fallait pour ne point perdre son esclave. Comme Pénélope, elle défaisait le tissu de ses espérances. Une fois par jour, elle entr’ouvrait la fenêtre, soulevait la persienne, montrait un instant son charmant visage, décochait au jeune homme un petit sourire, puis elle le mettait à la diète pour le reste de la journée. Le soir, vous eussiez vu passer et repasser sur le rideau sa silhouette fugitive, et Albert envoyait mille et un baisers à ce fantôme impalpable. Si vous avez eu des fleurs sur votre croisée, n’avez-vous pas remarqué, quand, par la chaleur d’été, vos rideaux sont fermés, que le soleil brode sur ces rideaux l’ombre des Heurs, mais privées de leurs teintes et de leur