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LE SALON DE 1857.

gorges par le général Mac-Mahon et Lihaut avec le drapeau, ne soit pas plus rempli ; ce reproche n’est point fondé. Un trop grand fourmillement d’hommes eût effacé ces deux personnages, qui doivent dominer toute la scène, et il est bien plus naturel que l’action s’engage dans les bas-fonds que dans les hauteurs. C’est par les endroits bas qu’arrivent les assaillants, c’est là que doit se concentrer tout l’effort et tout l’acharnement du combat. — C’est une grande œuvre que M. Ivon a bien réussie ; je l’en félicite de tout cœur.

M. Gustave Doré était chargé de la Bataille d’Inkemann. M. Gustave Doré est un tout jeune artiste que son talent et la faveur publique ont porté tout d’abord aux plus hauts sommets de la réputation. À vingt-cinq ans, son crayon facile a prodigué dans les journaux et dans les livres des trésors de verve, d’originalité et d’esprit. Il a illustré Rabelais, il a illustré Balzac, et n’a point été vaincu dans la lutte que son imagination a entreprise contre ces deux grandes et fraternelles imaginations. Mais je ne sais si sa jeunesse pouvait soutenir le fardeau qui lui a été imposé. Pour peindre une bataille il ne faut pas seulement savoir peindre et avoir cette fougue de brosse et de pinceau dont M. Doré a déjà donné plus d’une preuve, il faut encore savoir ordonner, grouper, manœuvrer ses hommes. M. Doré, il faut l’avouer, a peu de souci de la manœuvre. Il fait des soldats, il leur crée des figures énergiques, originales, accentuées, il leur met du feu dans les yeux, un fusil aux mains, et il les pousse l’un contre l’autre. Laissez aller les bons combattants ! On se bat, on se hache, on s’extermine, c’est fort bien ; mais il faudrait qu’on y vît quelque chose. Or, je l’avoue en toute humilité, M. Doré fait de tels fouillis de corps, de tels fourrés d’hommes et de membres, de tels pèles-mèlesde bras, de jambes et de têtes, que je n’y comprends rien, ou presque rien. Avez-vous joué aux jonchets quand vous étiez enfant ? Vous laissez tomber sur une table trois ou quatre cents petits morceaux d’ivoire gros comme des allumettes, et il s’agit d’enlever chaque petit morceau l’un après l’autre sans en faire bouger un seul dans le tas inextricable. M. Doré laisse tomber de son pinceau sur la toile les hommes comme les jonchets. Inkermann a été une terrible bataille, je le sais, mais encore avait-on autour de soi assez d’espace pour remuer les bras et les jambes ; la preuve c’est qu’on frappait, qu’on avançait et qu’on reculait. Je défie les soldats de M. Doré de pouvoir avancer, reculer ou frapper, tant ils sont serrés ! Ils sont condamnés à rester éternellement dans la même position, et elle doit être bien gênante. M. Doré a exagéré la fougue de son talent ; qu’il y mette une sourdine et un peu d’ordre, ce sera fort bien.

On ne saurait faire les mêmes reproches à M. Penquilly-L’Haridon, qui a exposé le Combat des Trente. Ce furieux combat de trente Anglais contre trente Français, entre Josselin et Ploermel, au chêne de la Mi-Voie, nous a tous fait frémir quand nous l’avons lu dans le Magasin des Enfants. L’édition qu’en donne M. Penquilly est revue, corrigée et fort adoucie. On se bat, mais si peu, que cela ne vaut pas la