Aller au contenu

Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
222
LE PRÉSENT.

peine d’en parler. Presque tous sont assis et ont l’air de réfléchir aux vicissitudes des choses humaines. M. Penquilly pense que ce sont des blessés ; je crois, moi, que ce sont des philosophes en méditation. Deux ou trois ont l’air d’avoir trop bu, et m’ont rappelé des blessés du lundi que j’ai vus quelquefois au coin des bornes. Et que de ferraille, grand Dieu ! On se souvient involontairement de l’horrifique spectacle que donnait aux Lombards Charlemagne marchant sur Pavie. « Et lui-même, dit Eginhard, l’homme de fer, s’avançait en tête de l’armée. Il avait une lance de fer, un casque de fer, une cuirasse de fer, des jambarts de fer, un bouclier de fer, des bottes de fer, des éperons de fer. » Comme description dans un récit, tout ce fer fait assez bien ; dans un tableau, c’est fort désagréable. À peine si l’on voit çà et là quelques figures sans casque, et le ton gris qui en résulte est du plus piteux effet ; M. Penquilly est un homme de talent qui sera mieux inspiré une autre fois sans doute.

M. Garipuy me console de M. Penquilly. C’est encore la guerre et la barbarie, c’est le Départ d’Attila après le sac d’Aquilée ; mais cela ne manque ni d’imagination, ni de fierté, ni de tournure. Le luxe romain se mêle à la pompe barbare. Les peaux de bètes et les étoffes de pourpre, les beaux chevaux numides nourris dans les écuries de marbre des sénateurs, et les petits chevaux sauvages à tous crins sortis de la steppe, les armes étincelantes et les massues informes se suivent et se mêlent dans ce terrible défilé. De tous côtés s’élève un tintamarre de trompettes ; de tous côtés flottent des étendards de diverses couleurs ; on entraîne les femmes, les enfants, nus et les mains liées ; et au milieu de la horde, entouré de chefs au muffle de taureau, à la hure de sanglier, à la tête de tigre ou de lion, Attila chemine grave et calme. Il semble écouter cette voix intérieure qui lui dit de brûler Rome et de l’effacer du nombre des villes ; il n’entend rien de ce qui se passe autour de lui. Son œil fauve a l’impassibilité du destin ; ni colère ni pitié, c’est tout l’homme, l’homme-fléau, l’homme-fatalité. M. Garipuy est, je crois, destiné à aller loin. Il fait grand ; c’est bien beau et bien rare dans ce temps-ci.

M. Henneberg a les mêmes qualités que je salue de force et d’ampleur. Il s’est inspiré, pour son tableau, Une Chasse féodale, de la belle ballade de Bürger, le Féroce chasseur. Il en a bien rendu le tumulte et le mouvement.

Le cerf a sauté au milieu des blés, haletant, et voici toute la chasse qui bondit furieuse derrière lui. Adieu la moisson dorée, adieu les épis blonds et le pain du laboureur. Dans une heure, ce ne sera plus qu’un chaume stérile, une paille hachée et inutile qui ne sera même pas bonne à faire un feu de joie. Aussi voyez ce vieillard qui a conduit la charrue dans le champ, voyez cette femme, ils s’élancent près de leur seigneur. « Grâce, monseigneur ! grâce pour nos blés, pour ce champ, pour le travail de toute une année. Qu’est-ce qu’une heure de plaisir ? Et nous, nous aurons faim jusqu’à la moisson prochaÍrut, si nous ne mourons auparavant. » Le chasseur ne les écoute pas ; il pousse son cheval sur le vieillard et le