Aller au contenu

Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
LE SALON DE 1857.

mais enfin à obéir ainsi jusqu’à une telle décadence, que devient le génie, que devient la gloire, que devient l’art ? Pauvres grands mots bien bafoués, bien ternis, bannières saintes dont il serait grand temps cependant de secouer la poussière !

Dans ces deux mille et quelques cents tableaux reçus par le jury, il y en a un grand nombre habilement faits, lestement enlevés ; les ressources du métier sont de plus en plus répandues et vulgarisées, mais que l’inspiration est rare ! Je vois partout des mains exercées à broyer la couleur et à manier le pinceau, mais l’esprit qui les guide n’apparait jamais.

Dans ce défilé de l’art en 1857, à qui donnerons-nous la tête de la colonne ? Est-ce aux Criméens et aux Zouaves, qui ont presque seuls l’honneur de la peinture dite historique ? Est-ce à ces vingt ou trente inondations, ridicules tableaux de scènes lamentables ? Ma foi non ! À plus tard les grandes toiles, qu’elles attendent ; nous arriverons assez tôt à ces plaines de bleu, de rouge et de jaune, dont la vie est absente ; nous irons d’abord à ce qui est le succès vrai de l’Exposition, le genre proprement dit.

La première de toutes ces œuvres, et sans conteste, c’est celle de M. Robert-Fleury, Charles-Quint rappelé par Philippe II du monastère de Saint-Just.

Le sujet était simple et peu digne en apparence des pinceaux d’un artiste ; M. Robert-Fleury a su en faire une œuvre admirable. Nous sommes dans une salle du monastère de St-Just. Au milieu, le vieux Charles-Quint, en costume de velours noir, est porté dans une chaise. Devant lui se courbe l’ambassadeur de son fils, Ruy Gomez de Sylva, comte de Melito. Il lui présente des lettres d’une main, et pose l’autre sur son cœur. Derrière le comte [sont groupés des seigneurs de sa suite ; derrière la chaise de Charles-Quint, les moines de son couvent. La lumière entre à flots par une large fenètre percée au nord ; elle glisse sur un large tapis à fleurs rouges posé à terre, rebondit en flèches aiguës, et va éclairer le crâne dégarni, la figure sérieuse et l’œil méditatif de Charles-Quint.

Par une idée d’un rare bonheur, M. Robert-Fleury, auprès de ce Charles-Quint alourdi par les années, a accroché à la muraille de son couvent le portrait de Charles-Quint jeune, droit et fier dans son armure d’empereur. Derrière lui un moine, le prieur du couvent sans doute, se dresse et regarde fièrement pardessus l’épaule le comte agenouillé devant celui qui maintenant est son subordonné. Cette tête dégarnie de cheveux, cet œil perçant, ce nez d’aigle, ce corps osseux et maigre sous le froc sont d’un effet saisissant. On devine là quelque hidalgo, de la race de Loyola, fait pour commander à l’armée ou dans un cloitre, chevalier de la Vierge, et portant sous sa bannière mystique la même fierté qu’il