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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/26

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LE PRÉSENT.

eût montrée sous les clefs de Castille et les tours d’Aragon. Le fini de l’exécution, le soin des détails, le libre jeu de la lumière, la variété des poses, la noblesse et le naturel des expressions de chaque visage, la précision du dessin, la force et la richesse de la couleur, font, à mon sens, de cette œuvre un tableau achevé. Les tons cuits des anciens tableaux de M. Robert-Fleury ont disparu ; ceci n’est que chaud et vivant. On peut dire que ce Charles-Quint est le chef-d’œuvre de l’artiste.

J’ai classé cette toile parmi les tableaux de genre, bien que les personnages qui la remplissent soient des personnages historiques, et que le sujet en ait été emprunté à un livre d’histoire. C’est qu’en effet, une confusion regrettable me semble, dans ces derniers temps, s’ètre introduite dans les classifications ordinaires de la peinture. Le titre de tableau d’histoire doit être réservé à ces vastes toiles qui représentent dans un large cadre quelque scène grandiose et importante du passé, un de ces faits qui sont dans l’esprit de tous et que chacun baptiserait, même sans livret, de façon infaillible. Je me figure mal, autrement que comme tableau historique, la mort de César, la veille de la bataille d’Austerlitz, François Ier rendant son épée à Pavie. Mais si on va chercher dans les narrations anciennes quelque détail ignoré ou peu connu de la foule, quelque scène de mœurs, quelque secret d’intérieur, on atout simplement emprunté à l’histoire un tableau de genre. Est-ce que la Visite de Henri III à sa ménagerie de singes et de perroquets, de M. Comte, n’est point un tableau de genre ? Est-ce que, pour remonter tout d’abord au maître qui le premier donna l’exemple de cette façon nouvelle d’introduirele genre dans l’histoire, le Mazarin jouant aux cartes à son lit de mort, de M. Paul Delaroche ; est-ce que son Richelieu sur le Rhône ; est-ce que, même, son Duc de Guise, ne sont point des toiles conçues et exécutées dans toutes les conditions du tableau de genre ? Il y a la même différence et la même distance entre ces deux sortes de peinture qu’entre la chronique et l’histoire. M. Paul Delaroche a suivi le goût du siècle en se vouant à la chronique ; il a prouvé, d’ailleurs, qu’on pouvait y déployer des qualités sinon aussi grandes que dans la peinture d’histoire proprement dite, au moins aussi variées et aussi fines. M. Robert-Fleury vient de renouveler la preuve : son Charles-Quint restera l’œuvre d’un maître.


Léon DALÉAS.
(La suite au prochain numéro.)