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CHRONIQUE.

— L’ennemi juré de mon père ? Mais, voyons, ajouta-t-il en souriant ; le père Dumas est un bon enfant, Janin un bonhomme. Il y a trop longtemps que ça dure. Voulez-vous m’accorder une grâce ?

— Accordé, dit le maître de la maison.

— Retardez le dîner de huit jours.

— C’est dit. On se rencontrera le samedi suivant. Les invités seront avertis.

Le jour fixé arrive. Tout le monde est réuni : on remarque, dans les groupes, Mme Janin, toujours gracieuse, un peu émue. On est en train de causer, quand soudain un grand mouvement se produit. On se déplace, c’est un gaillard taillé en Hercule qui passe, léger d’ailleurs comme un oiseau, le sourire aux lèvres, l’œil joyeux ; il salue Mme Janin de la façon la plus aimable, lui parle comme à une vieille amie, enfin…

Mais voilà que de l’autre côté arrive aussi, en roulant, un gros homme tout frais, tout rond, rouge comme une pivoine ; le géant s’ébranle ! Les deux hommes sont dans les bras l’un de l’autre.

— Mon cher Janin !

— Mon cher Dumas !

Je ne sais plus quoi encore, quelques poignées de main, et voilà nos deux hommes, réconciliés, se promenant bras dessus, bras dessous, au milieu des dames, à qui M. Dumas fils contait des choses — de l’autre monde.

Gavarni aussi était là, ce Gavarni qui n’est plus peintre que par accident, et dont l’esprit court dans les nuages, à la poursuite d’un problème qu’il est bien capable de résoudre, ma foi ! Son crayon en a bien fait d’autres ! Son compas pourrait bien fixer le mot de l’énigme La locomotion aérienne, un système pour diriger les ballons, voilà ce qu’il cherche depuis je ne sais combien de temps, le faux frère ! Il paraît même avoir oublié si bien peinture et dessin, que le critique des Débats, tiède encore des baisers du grand Alexandre, passait tout son temps à lui donner des conseils, à lui indiquer très-complaisamment la marche à suivre dans l’exécution d’une œuvre nouvelle commencée depuis quelques jours seulement par le peintre. Gavarni le laisse parler, écoute religieusement, et quand Janin a fini :

— Vous n’y comprenez rien, dit-il, et il s’éloigne pour trouver une personne complaisante qui parle un peu mieux dessin et sache un peu parler ballon !

Du reste, tout cela s’est fait comme il convient entre gens d’esprit, de la façon la plus aimable et la plus polie. On a beau dire, les gens de lettres savent vivre comme hommes ; — comme volumes, ils meurent un peu plus vite !

À propos d’Alexandre Dumas, on a donné, l’autre semaine, une pièce de lui : l’Invitation à la valse, quelque chose de fin comme l’ambre, un petitbijou. C’est au Gymnase. À l’Ambigu La légende de l’homme sans tête, avec des titres de tableaux effrayants, incroyables, magiques ! Je ne veux pas vous parler de la pièce, je vous