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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/272

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LE PRÉSENT.

Décrirons-nous les joies éhontées assises à. ce triste banquet ? Entre les vainqueurs étrangers, des femmes sans pudeur souriaient aux roubles et aux ducats dont ils étaient garnis, et qui n’ont point de patrie. Les vins de France portaient la gaieté de tous les verres à tous les cœurs ; notre beau langage, dans toutes ces bouches exotiques, recevait cent mortelles blessures, comme un ennemi rencontré un jour de combat ; et l’ivresse commençait à envelopper toutes les têtes de ses brouillards épais. Des chants et des blasphèmes se heurtaient dans l’air, et la musique des baisers s’envolait en notes légères, au milieu des rires et des cris. La belle Rosine, c’est le nom de la voisine de Georges, regardait toujours notre héros, toujours distrait.

— Embrasse-le donc, lui cria du bout de la table une petite blonde qui répondait au nom d’Hortense et nageait entre deux vins, embrassele, ton bel indifférent.

Rosine se baissa et effleura de ses lèvres rouges comme un charbon ardent les joues de Georges pâles comme un lis. Celui-ci la repoussa et passa son mouchoir sur sa figure.

— C’est affreux, c’est épouvantable ! s’écria le chœur des voix féminines.

— Eh bien ! je vais aller l’embrasser, moi, dit avec une moue mutine la petite blonde, et nous verrons s’il m’en empêchera.

Elle se leva et, tout en trébuchant un peu, arriva sans encombre auprès de Georges, prit sa tête dans ses mains et appuya sur sa bouche un baiser savant. Il laissa faire et s’essuya les lèvres. L’enfant blonde rougit de dépit.

— Tout ça, s’écria-t-elle, à celui qui apprendra d’un bon coup d’épée la politesse à ce sauvage !

Elle écartait violemment des deux mains le corsage de sa robe en prononçant ces paroles. Deux seins nus bondirent en liberté et frémirent à l’éclat des lustres.

Georges promena autour de lui un regard tranquille ; pas une voix ne s’éleva.

— Viens, dit Ostrowki en attirant la petite à lui ; je vais te venger, moi. Et un baiser sonore retentit dans la salle, couvrant tous les autres.

En retournant à sa place, Hortense essuya une grosse larme.

— Bah ! continua Ostrowki, ne fais pas attention, ma chère ; mon