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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/311

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CRITIQUE.

je le voudrais justifié par des analyses exactes, démontré avec preuves en main, et non pas affirmé seulement au nom de l’avenir et de l’idée de progrès. C’est ainsi que MM. Nicolardot, Veuillot, Nisard et Fléchier lui-même, le doux Fléchier, sont traités de la belle façon et foudroyés des foudres les plus rouges et les plus éclatantes de M. Ulbach. De M. Nicolardot, je ne dirai rien. Son livre, à en juger par les citations qu’en fait son adversaire, doit être un pauvre livre, bien niais et bien absurde, et qui ne mérite pas qu’on se donne tant de mal pour le réfuter. M. Veuillot a bec et ongles, et sait bien se défendre tout seul ; M. Nisard n’a non plus besoin de protections ; mais je vous demande un peu en quoi Fléchier a démérité de la critique humanitaire de M. Ulbach.

Il commence par déclarer que ses oraisons funèbres sont fort ennuyeuses, d’accord, si vous voulez bien admirer avec moi les pompes et les grâces de ce style charmant qui découle de la chaire chrétienne comme un fleuve d’eau sacrée. Ensuite M. Ulbach insinue que le galant abbé a plus d’une fois chiffonné sa soutane et son rabat, et que ses madrigaux aux dames, à mademoiselle de la Vigne, par exemple, n’étaient point tant confits en innocence qu’ils en ont l’air. Qu’importe ? C’est là une vilaine chicane et une mauvaise recherche, monsieur le critique. Vous vous indigniez fort tout à l’heure des insinuations de M. Nicolardot à propos de Voltaire et de sa nièce madame Denis ; quand vous auriez prouvé jusqu’à l’évidence que la jeunesse de Fléchier a été légère, en quoi sa littérature serait-elle meilleure ou pire ? Il ne faut pas faire de biographies rétrospectives, et les velléités d’amourettes de Fléchier ne valent guère la peine d’être relevées. M. Ulbach pousse quelque part la cruauté et l’injustice jusqu’à se souvenir de Tartufe promenant sa main sur l’étoffe moëlleuse de la robe d’Elmire. Les pauvres madrigaux ne sont point tant criminels que cela. J’y vois les raffinements et les grâces un peu mièvres de l’hôtel de Rambouillet, des fleurettes un peu pâles et un peu mignardes, je n’y vois pas tant de corruption. Arrivons au livre maltraité par M. Ulbach, les Grands jours d’Auvergne. C’est le récit d’une expédition de M. de Novion, président au parlement de Paris, et de M. Talon, avocat-général, dans la province d’Auvergne en 1665. Ce qu’il y avait, dans ce malheureux pays, de coupe-jarrets féodaux, de brigands blasonnés, d’assassins et de voleurs titrés serait un dénombrement à fatiguer Homère. On jugea pendant cinq mois, on pendit un peu, on décapita beaucoup, surtout en effigie, et on fit danser les belles dames de l’endroit. Fléchier nous a raconté ces jugements et ces bals, ces pendaisons et ces passe-pieds, ces billots et ces menuets avec enjouement, avec gaieté, avec malice. M. Ulbach lui en veut de son sourire, en face de la tragédie qui se jouait sous ses yeux. Mais quoi ? eût-il mieux valu qu’il se guindât, qu’il fronçât le sourcil, qu’il ouvrît une large bouche et y fît passer des mots emphatiques et longs de six pieds ? J’avoue que je me sens peu de pitié pour ces scélérats auvergnats, et je serais mal venu à en demander davantage à Fléchier. Ces gentilshommes