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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/310

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LE PRÉSENT.

sance ; les vilains, au contraire, semblaient, par ce nom même, voués à jamais non-seulement à la misère, mais à la laideur. Si ce ne sont les termes mêmes, au moins est-ce la pensée de M. F. V. Hugo. Ainsi, selon lui, dans le mot gentilhomme, gentil aurait le sens que nous lui donnons dans la conversation familière, et qu’il n’a guère que dans le patois parisien. Vilain s’entend de lui-même. Le malheur est que l’indignation de M. F. V. Hugo tombe à faux. Gentilhomme et vilain n’avaient nullement cette signification toute moderne qu’il leur prête. Vilain vient de villanus, villa, champ, campagne, maison de campagne, et veut dire tout simplementhomme des champs ; de même que manant vient de manere, et ne signifie que homme attaché à la glèbe, au sol ; gentilhomme vient de homo, et gens, homo gentis, homme de race, homme de noblesse. La beauté et la laideur n’ont donc rien à voir en cette affaire.

J’ai discuté toute une théorie de M. F. V. Hugo, et je suis descendu à la critique d’une phrase et d’un mot ; il serait injuste de ne pas louer dans cette œuvre, à côté d’un historien un peu tranchant et d’un étymologiste un peu passionné, un écrivain habile et de goût. Le style est bien de la famille. On reconnaît la couleur et l’accent ; mais il n’y a ni pastiche, ni imitation servile. Les styles se ressemblent comme un enfant ressemble à son père, naturellement ; peut-être un peu de jeunesse perce-t-elle encore çà et là, mais c’est un si charmant défaut. En matière aussi grave même, il a un agrément tout particulier. Ne le lui reprochons pas trop ce défaut, le temps l’en corrigera bien vite, le temps qui compte au moins double pour les heures si lentes de la douleur et de l’exil.

ÉCRIVAINS ET HOMMES DE LETTRES,
PAR M. LOUIS ULBACH.

M. Ulbach est un des polémistes remarquables de ce temps-ci. Il a, chose rare, une foi, des convictions, un drapeau, et il ne craint pas de les étaler. Par le temps d’indifférence et de scepticisme qui court, c’est un grand mérite que de savoir dire oui ou non aux choses et aux gens ; or, M. Ulbach ne mâche ni ses amitiés ni ses haines. Il proclame bien haut les premières, il crache les secondes à la face de ses ennemis avec une verve de mépris et un entrain de colère qui font plaisir à voir. M. Ulbach est fort avancé en politique, et c’est son droit ; je regrette seulement que dans des questionstoutes littéraires, la préoccupation démocratique vienne percer et se faire jour. Le plus souvent, il ne demande point à un écrivain : comment écrivez-vous ? mais pour qui écrivez-vous ? Pour nous, ou nos adversaires ? Si vous êtes des nôtres, vous êtes un homme admirable ; si vous n’en êtes pas, Raca, allez-vous en au feu éternel. C’est ainsi que MM. Lanfrey, Pelletan, Quinet sont portés aux nues et béatifiés par l’irascible critique. Je ne prétends pas que deux de ces écrivains au moins ne méritent pas cet honneur, mais