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LE PRÉSENT.

— Seigneur, Seigneur mon Dieu, dit le vieux prêtre en fermant son livre, Dieu d’amour, Dieu de miséricorde, Père de tous les hommes, reçois dans ton sein ces deux pauvres enfants.

On descendit les deux cercueils dans la fosse. On les coucha l’un près de l’autre, côte à côte, le jeune Russe et la jeune Française ; puis la terre, soulevée par la bêche des fossoyeurs, commença à tomber sur le bois, qui rendit un bruit sourd.

On passa un goupillon d’eau bénite. Il circula de main en main ; quand il arriva au père Grandpré, Alexandre fut obligé de soutenir la main du vieillard. Cependant la terre tombait et on n’entendaitplus rien. Plus rien ! les cercueils eux-mêmes avaient disparu, la besogne était faite.

On entraîna le vieillard qui avait eu une fille, prodige de grâce et de beauté et qui la laissait, là, couchée sous l’herbe humide sur laquelle son pied glissait.

Tout était fini.

Quand tout le monde fut sorti du cimetière, que la grille de fer eut été fermée, un homme qui avait suivi de loin le convoi vint, franchit la haie d’un bond et courut à la terre fraîchement remuée.

Il se prosterna et la baisa.

C’était Pierre Jarry. Il disparut depuis ce jour et on n’en eut plus de nouvelles.

Le lendemain de l’enterrement, Alexandre, avant de partir, se rendit chez le père Grandpré ! Il proposa à Baptiste de prendre du service en Russie, lui promettant richesses, titres, honneurs.

Baptiste remercia et refusa. Il courut au-devant de Napoléon l’année suivante, au retour de l’île d’Elbe, et mourut à Waterloo, simple soldat.

Le père Grandpré vécut dix ans encore, pauvre et seul.

Clotilde de Lautages quitta le pays et épousa un grand seigneur de la cour de Louis XVIII.

Aujourd’hui au cimetière de Saint-Just on peut lire sur deux pierres étroites, sous la folle avoine en été, sous les pâquerettes en automne, sous les muguets au printemps, ces deux noms : Georges. Marguerite.

On ne sait qui a fait poser ces deux pierres.


Alexandre Monin.