Marguerite le contempla longuement.
— Son nom ? demandanda-t-elle à Roczakoff.
— Le prince Georges Bariatinsky.
— Pauvre enfant ! si sa mère le voyait. Laissez-le dormir, tant que le sommeil voudra de lui, cela lui fait du bien, et du reste, ne craignez rien, je ne vous abandonnerai pas. Elle sortit lentement de la cabane en jetant un dernier regard sur le dormeur. Michel la suivit jusqu’au seuil ; elle lui laissa un sourire en forme d’adieu, et elle disparut à travers les bois.
Tout en cheminant, elle songeait aux évènements de la nuit. Une violente pitié était entrée dans son cœur. Quoi ! était-ce un ennemi de la France, cet enfant si beau, qui semblait si doux, et qui l’avait remerciée en termes si nobles du peu qu’elle avait fait pour lui. L’important, maintenant qu’il avait un abri, était de lui faire passer quelque nourriture pour lui et son fidèle Michel. Songeant aux moyens qu’elle pourrait employer, ses pensées lui tinrent compagnie, lui abrégèrent la route, et bientôt elle arriva sur la lisière du bois, là où elle avait laissé son père.
Le foyer, quand elle arriva, était presque éteint. Quelques charbons seulement poussaient encore dans l’air une fumée sans chaleur. Son père était absent. Marguerite fut inquiète. Elle allait aller à sa recherche quand elle le vit de loin qui hâtait sa marche à travers la plaine. Elle courut au-devant de lui.
— D’où viens-tu donc, malheureuse enfant ? lui cria-t-il du plus loin qu’il l’aperçut, et un instant après il la serrait entre ses bras. Soudain il la repoussa, comme honteux de sa faiblesse, et lui dit d’un ton brusque, sous lequel sa bonté paternelle aimait à se déguiser : — Mais répondrez-vous enfin ? Que vous est-il arrivé ?
— Rien, mon père ; je me suis égarée au retour. Au lieu de prendre du côté de Sauvage, je me suis dirigée vers le Passage.
Cette explication, fort plausible d’ailleurs, satisfit le père Simon ; ils revinrent près de leur foyer ; Marguerite y jeta quelques branches de bois mort, et réchauffa ses mains glacées.
Le jour commençait à poindre et blanchissait d’une pâle lumière les gazons rares et séchés par l’hiver qui croissaient au pied des chènes. Les feux se rallumaient dans toute l’étendue de la forêt, et divers bruits se prolongeant dans l’espace témoignaient que partout on se préparait avec le soleil à reprendre la vie de la veille interrompue par le combat. Quelques rouges-gorges matineux faisaient entendre leur courte chanson, tapis encore dans leurs nids de mousse, et, de loin en loin, quelques coqs, étonnés de cette nuit passée à la belle étoile, hasar-
