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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/34

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LE PRÉSENT.

— Comment vous appelez-vous ? dit Marguerite au cosaque qui avait déjà repris sa posture à genoux auprès de son maitre.

— Michel Roczakoff.

— Eh bien, Michel, levez-vous et faites comme moi. Il s’agit de ramasser de la mousse et de boucher les trous de cette cabane qui bâille de tous les côtés.

Michel se leva. Une centaine de plumes d’oie et de canard sauvage, soit de celles que le père Simon avait tuées, soit plutôt de celles qui, après son départ, venaient prendre leurs quartiers d’hiver dans le camp de l’ennemi, voltigeaient çà et là dans la cabane au souffle du vent : il les poursuivit, s’en empara, et les plaça pieusement sous la tète du blessé pour lui faire un oreiller.

Marguerite, de son côté, ne restait point inactive. Elle allait cherchant partout dans la nudité de l’hiver et l’obscurité de la nuit de quoi garantir la cabane ; ses mains arrachaient après les arbres le lierre toujours vert qui les enlace, et plongeaient dans l’eau glacée de l’étang pour y chercher les longues herbes qui montaient du fond et s’épanouissaient à la surface.

Michel parut, elle lui fit signe d’en faire autant. Il obéit avec une ardeur infructueuse par son excès même. En vain il essayait d’amener au bord de l’étang les longues touffes de nymphéas qui croissaient à quelque distance de la rive ; dans sa précipitation, il cassait la tige et les voyait avec désespoir sombrer, puis reparaitre et prendre le large comme une flotte sans conducteur. Il se mit enfin à gratter la neige avec ses mains ; l’expédient lui réussit, sous la neige, il trouva la mousse et vint triomphanten déposer un monceau aux pieds de la jeune fille.

Toutes les fentes de la cabane furent scrupuleusement bouchées ; les moindres vides comblés avec art ; mais l’opération fut longue, et déjà le froid du matin engourdissait les doigts de Michel et de Marguerite quand ils virent avec satisfaction leur ouvrage terminé.

Le blessé dormait toujours ; une légère sueur couvrait son front et ses joues ; son bras gauche négligemment posé sous sa tète lui servait d’oreiller, sa main droite reposait sur son cœur près de sa blessure. Sa respiration était calme et, n’était ce rouge qui avait teint son uniforme, on eût pu le croire paisiblement endormi, plein de santé, dans un rève agréable. La douleur, en effet, n’avait laissé aucune trace sur ce blanc visage ; le front était pur et sans rides, les lèvres s’ouvraient gracieusement pour laisser passer un souffle léger ; le sourire qui y voltigeait par instants semblait répondre à une aimable pensée qui caressait son sommeil. Il n’avait rien en lui du soldat, et son habit de guerre contrastait singulièrement avec sa beauté presque féminine.