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CRITIQUE.

Certes, nous honorons l’Académie, plus encore qu’elle ne s’honore. Loin de nous l’envie de rentrer dans de vieilles querelles, et d’afficher une hostilité qui est plus aujourd’hui que du mauvais goût. « L’Institut c’est l’Esprit humain, » a dit son directeur. — Mot un peu ambitieux sans doute, mais n’est-il pas naturel qu’un grand orateur se complaise aux grandes images ? Il est certain que l’universalité des connaissances humaines est admirablement représentée par les cinq sections. Les sciences, les lettres, les arts, elles embrassent tout. Les vides que la mort y fait affligent le monde, et tout récemmentencore les sciences exactes en M. Cauchy, la peinture en M. Delaroche, ont perdu deux de ces maîtres que le sort ne remplace pas aisément. Les belles-lettres par bonheur continueront longtemps de vivre quai Conti en la personne de M. Viennet.

M. Viennet est immortel comme l’Académie elle-même, et l’on dirait que la langue française s’est enrichie d’un mot tout exprès pour qualifier son talent ; c’est le mot charmant que nous voulons dire. Jamais chose littéraire n’a reçu du monde et de la critique une plus juste épithète que les fables et les satires du vénérable académicien, et je n’en veux pour preuve que l’épître à M. Villemain qu’il a récitée l’autre semaine. Spirituel comme un courtisan dans sa jeunesse, M. Viennet est devenu sur ses vieux jours un peu moins méchant que Juvenal. — On ne peut mordre plus doucement que lui, on ne rit pas avec plus de grâce attique et de mesure, on ne se fait pas écouter avec plus d’art, parce qu’on ne parle pas avec plus d’opportunité. C’est ainsi qu’à la séance annuelle, il fallait bien délasser le public de cette ascension inaccoutumée à laquelle M de Montalembert l’avait contraint, et M. Viennet était là, ses aimables vers étaient dans sa poche ; il les a lus.

N’est-ce pas une chose admirable que cette variété de délassements qu’on peut trouver dans un lieu si sévère ? Ah ! s’il n’est pas vrai que l’Institut de France représente toutes les forces de l esprit humain, avouons qu’il en offre du moins tous les plaisirs. À table, après les mets épicés les bonbons ; à l’Institut, après les fières paroles du directeur, les petits mots délicats de M. Viennet. Un auditoire bien né s’accommode de tout. Quelques esprits chagrins ont pourtant jugé qu’il y avait aussi par trop loin d’une satire sur les saumons et les crinolines au solennel anathème que M. de Montalembert venait de jeter sur tout son temps.

Temps mauvais en effet que celui-ci, moins vicieux d’ailleurs que corrompu : sottise et lâcheté, voilà sa devise. Tombés d’une bouche si grave, les avertissements de M. de Montalembert auront du poids. Il était beau de le voir s’élever contre cette jeunesse « idolâtre de la force, et découragée par des périls qu’elle n’a pas courus. » Mais n’oubliez pas les saintes Écritures, pensez aux neuf justes qui se sont rencontrés dans les villes maudites. N’y a-t-il pas au moins neuf honnêtes gens parmi nous ?

Flétrir le matérialisme dans la société qu’il souille et qu’il opprime, et dans l’art qu’il déshonore, c’éfcit là sans doute’une bien noble tâche, digne de celui