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LE PRÉSENT.

souviens bien, — une page que je lirai pour me consoler ; quand on a traversé le champ des passions, remué les hommes, pratiqué les prêtres, quand on a été toujours indépendant comme le noble comte, on doit plus à ses auditeurs, et ce n’est pas avec de pareilles phrases qu’on conserve l’autorité sereine de la parole, et qu’on domine les assemblées !

Encore une fois, qu’on laisse tranquilles ceux qui luttent pour arriver à la fortune ! Sommes-nous donc attachés au cabriolet qui les traîne ? Les esprits indépendants, ceux qui se rient de l’éloge et qui se rient du blâme, ceux qui vont pleins d’orgueil, confiants en eux, dédaignant les autres, poursuivant, à travers les hasards de la vie, amour, deuil ou misère, un but glorieux, ceux-là, qu’on le sache bien, n’adressent pas au vulgaire ces reproches banals, ils ont peut-être de la pitié, ils n’eurent jamais de colère.

Parlez-moi d’autre chose, monsieur le comte ; je ne suivrai jamais votre drapeau ; personne ne sait encore sa couleur, et d’ailleurs, vous aimez trop l’Église ! Mais, vous êtes un homme, et c’est rare, monsieur, par le temps qui court ! « Ayez, s’il le faut, des passions. » Voilà le cri qui sortait l’autre jour, de votre bouche et de votre âme ! J’aime ces mots violents, et j’applaudis à ces audaces ! Mais, je vous le demande encore, que vous importe la foule ? pourquoi combattre les appétits des lâches ? N’avez-vous pas, pour réchauffer vos âmes, la souffrance ou la gloire, vous que dévore l’amour des grandes choses et le feu sacré du génie. « Ayez des passions ! » Qui donc est digne de recueillir ces paroles brûlantes ! Ai-je bien raison de les défendre ? Faut-il, vraiment, que beaucoup se laissent emporter dans la vie, par le besoin impérieux d’agir, brandissant à travers le monde, la plume, le sabre ou la croix ! Il y aura toujours sur la terre, surtout dans ce coin qu’on appelle la France, il y aura bien assez d’esprits malades, de cœurs brûlés, d’àmes inquiètes ; pourquoi convier à ces agitations douloureuses ceux qui ne remontent pas d’eux-mêmes à la surface, en fouettant la vague ! Et puis où donc est l’arène, où les soldats, où les drapeaux ?

Vous voilà forcé, président de l’Académie, de crier, pour intéresser l’auditoire, contre de pauvres diables qui ne sont, certes, pas dangereux, qui ne nuisent, je crois, qu’à eux-mêmes, et qu’on peut bien laisser dans leurs officines sans craindre qu’ils ne démolissent la statue du beau et l’image du vrai. Qu’est venu faire le réalisme en cette affaire ?

Oh ! les luttes de la tribune, les orages dans l’assemblée, les fureurs de partis ! Qui donc écoutait les harangues académiquesau milieu du tumulte gaulois ?

C’était, jeudi, deux jours après, la séance dans laquelle on distribue les prix ; M. Vitet présidait ; et c’est lui qui a fait le rapport sur les prix de vertu. M. Villemain a lu son éternel discours sur la littérature ; M. Ernest Legouvé a récité des vers, que je préfère à ceux de M. Viennet. Je n’ose vraiment, pauvre inconnu, donner un coup de plume dans le dos de ces immortels ; laissez-moi vous