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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/375

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CHRONIQUE.

dire seulement que mes voisins bâillaient beaucoup. Les yeux avaient plus il faire que les oreilles ; on se montrait celui-ci, on cherchait celui-là, et M. Villemain parlait toujours !

Triste chose que ces discours officiels où l’orateur chasse à l’allusion, l’allusion petite coquine tant aimée des académiciens ! À peine avons-nous eu cette année un bout d’épigramme, et chacun est parti, je crois, emportant de cette journée un assez triste souvenir.

L’événement littéraire de la semaine est à coup sûr l’article de M. Ernest Renan sur Lamennais, publié dans le dernier numéro de la Revue des Deux Mondes. J’en avais entendu parler dans des termes si favorables que j’arrivais là convaincu qu’on avait exagéré l’éloge, assez disposé, je ne sais pourquoi, à trouver une paille dans l’œil de l’auteur. J’ai lu ces 40 pages, et je suis encore tout ému. C’est une pensée haute qui a présidé à la composition de ce remarquable article. Au service de cette pensée, M. Ernest Renan a mis une langue sobre, sévère, énergique et belle ; je ne le savais pas si maître de sa phrase, si sûr du mot, si habile dans l’art de balancer les périodes et d’arriver jusqu’à l’âme de son lecteur. Et puis, comme il a compris sa tâche ! Un autre eût voulu, sur les cendres de ce grand martyr, réveiller les querelles anciennes, évoquer le fantôme de la philosophie ; on m’eût parlé des dogmes, des idées, des papes et des conciles ! M. Renan a pris ce crâne, il l’a pesé, comme Yorick ; il est descendu dans le fond de cette âme, il en a mesuré les abîmes, il nous a dit quels orages l’avaient ravagée, quels éclairs l’avaient traversée, quels nuages l’avaient obscurcie, et il a bien compris, ce me semble, cette nature avide d’émotions, triste, ambitieuse, ardente, condamnée à l’éternel chagrin, par la volonté de ce Dieu dont il cherchait l’image et la loi, sans pouvoir la fixer jamais, toujours victorieux, toujours vaincu ! C’est bien là ce qu’il y avait à faire, s’attaquer à l’homme, écouter son cœur, et recueillir l’écho de ses soupirs éteints.

On comprend mieux, du reste, comment l’auteur a pu s’acquitter avec bonheur de sa tâche, quand on sait qu’il a été élève de Saint-Sulpice, qu’il a dû, lui aussi, porter la soutane. C’est aujourd’hui un philosophe indépendant, qui aime la science comme, la veille, il aimait son Dieu ! Il avait déjà fait paraître un livre remarquable, mais l’article sur Lamennais vaut pour moi tous les autres. Vieux Breton, le secret de ta colère et de ta grandeur, ce que tu n’as pas voulu dire au prêtre, le jour de ta mort, nous le savons ! c’est un ancien fanatique qui nous l’a dit.

À ce propos, en descendant plus bas, dans la littérature marchande, celui qui fit jadis une biographie de Lamennaisdont tout le monde condamna la forme violente et les idées mauvaises, M. Eugène de Mirecourt en trois mots, Jacquot en un seul, vient d’être frappé par le tribunal d’une quantité innombrable de condamnations, amendes, dommages-intérêts, dépens ! On a voulu en finir avec le