Aller au contenu

Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LE SPHYNX.
I

La diligence de Paris à Cherbourg ne roulait que depuis trente-deux heures. Il était nuit. La pesante machine allait, allait toujours ; quatre vieilles bêtes la menaient au petit trot ; la bâche gémissait, le postillon faisait claquer son fouet, le conducteur commençait à s’enrouer à force de jurons, et les voyageurs étaient moulus. La première lueur du jour éclaira tout à coup la route ; l’aube s’avançait lentement, entourée de son voile diaphane, dessinant l’horizon et laissant derrière elle une blanche traînée gaie comme un sourire. Le conducteur fit arrêter la voiture, et risqua d’abord une bonne plaisanterie en imitant par trois fois le cri d’un hibou qui s’enfuyait ; puis il sauta sur le grand chemin, pour y dire deux mots à sa gourde. Ce roi de la création donnait à sa manière le signal du jour, tandis que les alouettes chantaient.

Un des deux voyageurs du coupé, — c’était un jeune homme, — sortit alors de l’assoupissement où il était plongé. Il passa la tête à la portière. — En route donc, fit-il, avec impatience. — Les quatre vieilles bêtes reprirent leur petit trot ; le voyageur, quoiqu’il fût bien éveillé, se mit à parler tout haut, à s’agiter sur la banquette et à gesticuler comme s’il rêvait encore. Son voisin, qui avait compté dormir, bondit de peur à côté de lui.

— Le petit a, parbleu ! raison, disait le jeune homme : Le Sphynx ! Georges est un sot. Mais il a bien quelque esprit. Je veux parier mille louis que cette femme n’a pas péché.