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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/396

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LE PRÉSENT.

parmi les masses ombreuses qui bordaient la route, et la vive haleine du printemps soufflait sur toute la campagne.

— Je voulais que vous vissiez tous ces biens qui sont à moi, dit la châtelaine.

— Ce qui était à elle était, en effet, fort séduisant, le bel Onfray le pensa. — Anna reprit la parole ; elle n’avait plus cette voix bizarre qui choquait les oreilles d’Arsène, elle parlait presque harmonieusement. Et pourtant elle raillait son compagnon, mais avec quelle charmante bonté ! C’était de madame Julie qu’elle parlait alors, et toutes les fois que ce nom détesté arrivait sur ses lèvres, un éclair de rage passait dans son cœur. — Mais vous ne me désobéirez pas, dit-elle, et vous renoncerez à la folle envie de voir cette malheureuse femme. Ah ! c’est une curiosité bien vaine et qui ferait mal penser de vous ! Tenez, monsieur Arsène, j’ai envie de vous faire jurer…

La persuasion, comme dit un poëte grec, commençait à faire son nid sur les bords des lèvres d’Anna. Une demi-lieue de plus sous le couvert de la forêt, et Arsène aurait promis bien des choses ; mais Georges rejoignit sa sœur et son ami : on arrivait au petit château.

Bien qu’il fût plus de minuit, Georges suivit le dandy dans sa chambre.

— Retourneras-tu demain dès l’aube te percher sur le mur de la Maison-Grise ? lui demanda-t-il froidement. Oh ! ne va pas le nier ; on t’y a vu. Anna le savait.

— Morbleu ! s’écria le bel Onfray, on ne m’y verra plus. Demain j’entrerai à la Maison-Grise par la porte, entends-tu bien ? et tout le bourg en crèvera de dépit.

Georges sortit en riant. Arsène le rappela.

— Tu ne me dis rien des périls que je vais courir, reprit-il en s’efforçant d’être aussi gai que son ami ! Devenir l’amant d’une pareille femme… son mari, peut-être… quand le premier !… Mais je suis un homme mort. Demande plutôt là-dessus l’avis du marquis.

— Et si tu l’aimais, répliqua Georges, qu’est-ce que cela te ferait qu’elle te tuât ? L’aimes-tu ?

— Je ne la connais pas.

— Adieu.

Arsène s’accouda sur le bord de sa fenêtre et il songea. Il repassait dans sa mémoire tout ce qu’il avait ressenti depuis trois jours : étrange imbroglio ! Mélange nouveau d’émotions contraires, de dépit et de cu-