à tout ce qui peut y conduire. Elle ne fait rien d’inutile. La manie et la gageure de tous les René, de tous les Chatterton de notre temps, c’était d’être grand poëte, ou de mourir. Le rêve des jeunes prudents d’aujourd’hui, c’est de vivre, d’être préfet à vingt ans, ou représentant, ou ministre. Le mal n’a fait que changer et se déplacer. C est ce qui arrive de presque toutes les maladies de l esprit humain qu’on se flatte d’avoir guéries, on les répercute seulement.[1] »
On les répercute. Toute la question est de savoir si on ne perd pas au change.
Sans doute il est ridicule de prétendre être à vingt ans un grand poëte, ou un grand homme ; mais l’égoïsme, mais l’indifférence, mais l’avarice ne sont-elles point des plaies plus dangereuses que la vanité ?
Qu’on me permette une anecdote, pour finir.
Je passais, il y a trois ou quatre ans, donnant le bras à un jeune homme, frais bachelier de dix-neuf ans, dans une rue des plus populeuses et des plus marchandes de Paris.
Le jeune homme tout à coup m’arrête, et me montrant de la main une maison qui nous faisait face :
— Regardez ! me dit-il, j’ai comme cela deux ou trois passions dans Paris.
Je lève les yeux, croyant apercevoir dans la maison qui m était indiquée quelque chose de monumental, de pittoresque, ou, tout au moins, de joli. Je n’avais devant les yeux qu’une grande bâtisse, en pierres de taille, il est vrai, mais percée de fenêtres comme une caserne, et décorée pour tout embellissement de pancartes multicolores chargées de ces inscriptions peu poétiques :
— Bernard, tailleur. — Harris Tailord. — Schumann Schneider. — Caraguel Sarto.
— Que diable voyez-vous là de merveilleux ? dis-je à mon jeune homme.
— Eh ! mon cher, cela rapporte — net — vingt bonnes mille livres paran !
Celui qui disait cela n’avait pas vingt ans. Il trouvait Jérôme Paturot un livre très-fort et appelait M. de Lamartine une girouette.
Dors-tu content, Saint-Marc-Girardin ?
Charles ASSELINEAU.
- ↑ Constitutionnel du 1er octobre 1849.
