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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/42

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MADAME BOVARY
MŒURS DE PROVINCE, par M. Gustave Flaubert.

Semblable à un arc-en-ciel nuancé de mille promesses d’avenir, le beau livre de M. Gustave Flaubert nous aide à traverser les œuvres éphémères qui nous environnent, et, en même temps, comme un rude conseiller, il réveille en nous une foule d’observations obscurcies par le vain bruit de la littérature actuelle.

Jadis, lorsqu’un bachelier frais éclos quittait sa ville natale pour devenir un homme à Paris, sa mère le revêtait d’une cuirasse trempée dans un ruisseau de larmes, de tendresse et de pieuses recommandations ; ses sœurs lui jetaient autour du cou la guirlande animée de leurs petits bras roses ; mais le père le tirait gravement à l’écart, et après avoir prescrit le travail, il recommandait une visite au musée Dupuytren. Le musée Dupuytren ! c’est-à-dire le spectacle navrant des suites de la débauche et des folles amours

Le père, à mon sens, n’était pas mal inspiré. Si vous voulez être utile, en effet, placez l’exemple à côté du précepte. De même que la vue d’un précipice nous rejette effrayés dans la direction d’une route sans périls, une plaie horrible nous fait vivement sentir le prix inestimable d’une santé florissante.

Ce que nous disons du corps ne doit-il pas s’appliquer à notre âme immortelle ? Oh ! ne la laissons pas se perdre dans le labyrinthe inextricable des rêves funestes ! Jamais elle ne retrouverait plus le fil conducteur qui ramène aux pures lumières éclipsées.

Jeunes femmes romanesques dont les ailes diaprées se sont malencontreusement abattues sur un mari vulgaire, sans grâce, sans poésie, vous êtes à plaindre, je l’avoue. Sachez toutefois vous renfermer dans le cercle austère et paisible de la foi jurée. Le devoir a des couronnes immortelles qu’aucun vent ne saurait flétrir, et le ciel, vers qui le sacrifice monte comme le plus précieux encens de la terre, mettra dans les yeux de vos petits enfants dés joies ineffables, des tendresses inextinguibles et sans remords.

Lorsqu’une âme éprise des chimères vagabondes d’un amour coupable s’envole du toit conjugal, vous la croyez joyeuse, peut-être. Hélas ! que de déceptions amères, de mépris avilissants, d’infortunes successives, de blessures incurables ! Bientôt, odieux à eux-mêmes, ces êtres dévoyés deviennent funestes à autrui.