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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/43

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MADAME BOVARY.

Autour d’eux le malheur se propage comme une épidémie, ils ternissent tout ce qu’ils caressent, et un murmure de malédictions se lève sur leur passage. Lisez le livre de M. Gustave Flaubert.

Mais, avant de l’ouvrir, soyez avertis qu’il contient des pages éblouissantes d’audace et de vérité. Aussi les éternels amis de cette fiction aux doigts roses dont la tête repose dans le clair obscur, le reste du corps dans des flots de gaze, seront peut-être offensés par une lumière trop vive : le long usage de verres trompeurs leur a fait un regard faible, indécis et superficiel.

Oh ! la triste nécessité que celle qui nous force à dissimuler les vérités morales comme des mensonges. Chastes oreilles qui l’avez voulu, ne sentez-vous donc pas que vous portez la peine de votre excès de pudeur ?

N’est-ce pas gràce à des voiles imposteurs que Mme George Sand vous a fait longtemps accueillir comme choses simples, naturelles, coulant de bonne source, des liaisons scandaleuses et un délire des sens qui vajusqu’à à partager charitablement l’amour comme un morceau de pain ?

N’est-ce pas au moyen de phrases détournées, et aussi à l’aide de la fièvre de son style, que Balzac fait planer dans lescieux des héroïnes pétries de boue et d’argile ?

Et, si vous dépouillez M. Alphonse de Lamartine de sa teinte religieuse, pour le réduire à sa plus simple expression, ne vous apercevez-vous pas qu’il met les dérèglements du cœur dans la bouche des anges, sous le regard de Dieu ?

Il serait donc préférable, à mon sens, d’appeler les choses par leur nom, et de présenter un individu avec des dehors coupables, du moment qu’il agit mal.

Je le disais encore hier, nos oreilles devenues anglaises à l’excès, s’effarouchent trop des mots, pas assez des choses. Le contraire serait à souhaiter ; il devrait ètre permis de tout dire avec de bonnes intentions manifestes. Si un personnage sort de son caractère pour lancer à plaisir une trivialité inutile, qu’il soit honni ; mais déchirons aussi les gazes maladroites et perfides qui enlèvent à la nudité ce qu’elle a d’ingénu, de serein et de noble. L’intention morale d une œuvre justifie les expressions énergiques, les peintures hardies, et il n’y a que le faiseur qui révolte, en s’efforçant de relever l’aridité du fond par la licence de la forme.

— « Voyez, répondait Sterne, que l’on chicanait à propos de quelques libertés de langage, voyez cet enfant blond qui se roule sur le parquet. Dans sa folàtre gaieté, il soulève sa petite robe virginale, et le voilà presque dans le négligé du paradis terrestre… Vos regards sont-ils offensés, mesdames ? — Assurément, non ; et bientôt même, une demoiselle de seize ans, sans rougeur, d’un geste simple autant que chaste, recouvrira ces membres frèles et roses. »