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LE PRÉSENT.

cet hiver. C’est, sans doute, l’histoire de ce héros malheureux que La Galissonnière battit devant Mahon, en 1756, et que l’Angleterre condamna à mort, comme le sénat de Carthage condamnait les généraux vaincus. Orgueilleuse Angleterre ! sera-t-elle encore sans pitié ? osera-t-elle décréter la victoire ? Fusillera-t-elle ses amiraux trompés par le dieu des batailles ? Le moment est venu pour elle, le moment suprême, d’armer ses vaisseaux, d’appeler les Byngs au secours de sa majesté chancelante. L’Inde est en feu, la révolte court, arrive, s’étend. Qu’elle y songe, l’heure de sa suprématie est peut-être passée. Ah ! elle est bien toujours la même ! J’entends les cris de sa colère : Qu’on détruise les villes rebelles de fond en comble, qu’il n’en reste pas pierre sur pierre, et que l’exemple soit terrible ! Le léopard de ses drapeaux a rugi, le clairon du Times sonne indigné, et l’on est bien ému sur les rives de la Tamise ! Le dernier mot est triste. Cette gigantesque Compagnie des Indes, cette maison de commerce immense doit au monde un milliard cinq cents millions ! Elle a pour toute ressource l’impôt de cent vingt millions. Cet impôt sera-t-il perçu désormais ? Qui peut le dire ? Alors la banqueroute, l’affreuse banqueroute ! Il faut de l’or, c’est du sang qui coule ! Comment finira la lutte ? Que fera la France ? Qu’ont déjà fait les Russes ?

Tandis que les politiques regardent l’Inde, tandis que d’autres, peu soucieux de l’histoire, légers et paresseux, vont chercher au théâtre, à travers les allées ombreuses du Pré-Catelan, sur le bitume des boulevards, les distractions faciles et les plaisirs coûteux ; sur la terre africaine, par-delà l’Océan, les représentants de la justice humaine siègent en robe rouge sur les bancs de la cour, et les jurés écoutent les témoins venus pour éclairer une affaire sinistre, dans laquelle tout était confusion, danger et mystère. Un homme de vingt-sept ans, ayant les épaulettes de capitaine et la croix de la Légion-d’honneur, était accusé d’un crime horrible. Son complice portait aussi sur la poitrine les glorieux insignes, et se drapait dans le manteau blanc du chef africain.

Mais l’un tenait la tête haute, s’indignait, parlait en accusateur, fier, hardi, éloquent ; l’autre était triste et doux, murmurait tout bas des paroles que Dieu seul a comprises. Douloureux spectacle que ces scènes terribles ! Là combattaient à armes aiguës le mensonge et la vérité. Mais celui qui apparaissait le plus grand, celui qu’on appelait encore un héros, quoiqu’il s’appelât assassin, c’est Bel-Kheii, le brave homme de guerre, qui n’avait point peur de la mort, celui-là, et regardait du haut de son courage et de sa grandeur le malheureux Bel-Hadj accablé de terreur. Il faut lire ses réponses calmes et fières, il aurait fallu le voir redressant sa taille, écartant son manteau, et, comme un Romain, montrant ses cicatrices ! Les hommes ont jugé. Le jeune capitaine a été condamné à mort ; les autres héros de ce drame sinistre ont été frappés de peines infamantes. Le jugement a été accueilli avec douleur ! Tout le monde espère que le jeune officier verra sa peine commuée, et l’arrivée du maréchal Randon à Paris coïnciderait