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LE SPHYNX.

en vain à battre les buissons. Puis il ne comprenait pas bien pourquoi sa belle-sœur lui recommandait ainsi, les larmes aux yeux, cet homme jeune et présomptueux qui ne semblait avoir besoin du secours de personne, qui ne faisait état que de soi, et qui méprisait au fond toute la Normandie.

— Mais qu’y a-t-il enfin ? s’écria-t-il au hasard. Julie vous aura fait peur parce que vous l’aviez poursuivie ? Oh ! c’est une Normande ! — Ou peut-être que quelque méchante bête vous aura mordu dans le taillis ?

Arsène ne répondit rien et montra sa blessure.

— Vite, vite au château ! cria le bonhomme ; c’est une morsure de vipère. Que ne disiez-vous cela tout de suite ? Il est déjà trop tard pour employer le fer chaud.

— Tranquillisez-vous donc, répondit le jeune homme tout en le suivant, et surtout n’appelez personne. Je ne me soucie point qu’on sache comment je me suis fait mordre par cette vilaine bête.

— Venez, venez donc, disait le maire. — Le pauvre homme avait cessé d’en vouloir à Arsène. Il songeait, d’ailleurs, que s’il sauvait la vie du jeune homme, celui-ci, par reconnaissance, ne manquerait point d’acheter sa maison.

— Un médecin, continuait-il, un médecin vous dirait sans ménagement : Vous êtes un homme mort, et, moi, je ne jurerais pas que toute la Faculté pût vous guérir. Mais je connais toutes les recettes des guérisseux et même des sorciers ; dans deux heures, vous ne ressentirez plus rien. Nous pourrions faire brûler sur votre blessure un peu de poudre à canon. Ah ! si nous avions la vipère, nous pourrions encore lui écraser la tête et appliquer cela sur votre main ; mais vous avez laissé imprudemmentla bête s’échapper. N’ayez donc pas peur ; nous sommes au château. Je vous mène tout droit aux cuisines, où je vais d’abord vous faire boire un remède de ma façon.

Ce disant, il entrait en effet dans les cuisines et tirait Arsène après lui. Tout était en rumeur dans cette officine immense, où se préparait un supplément au troisième service qu’achevaient alors le marquis et ses convives. Les tourne-broches gémissaient à grand bruit, la flamme jaillissait des fourneaux, l’odeur des sauces et le fumet des viandes remplissaientl’atmosphère de ce lieu de délices. Déjà cinq ou six marmitons curieux se pressaient autour du maire, qui ne perdit point de