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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/49

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LE SALON DE 1857.

autant que possible, la ressemblance du maître ; on se fait une tête selon la tète qui gouverne ; c’est d’une observation juste et fine. Bientôt M. Comte prendra rang parmi les maîtres.

Immédiatement après lui, je placerai un jeune homme, M. Leman, dont les débuts sont des plus heureux. Il a envoyé Une matinée dans la chambre bleue de la marquise de Rambouillet. Quarante-quatre personnages sont distribués sans confusion, sans tumulte, sur une toile assez restreinte ; les riches costumes des grands seigneurs et des grandes dames, les vêtements noirs ou sombres des hommes de lettres, les poses diverses de ceux qui écoutent la lecture, des étourdis qui content fleurette à leur voisine, l’expression, la physionomie, tout est admirablement saisi. Pas le moindre embarras dans cette foule élégante, chaque masse est bien disposée, bien groupée, l’air circule entre toutes ces tètes d’expression diverse et caractéristiquede leur génie. Voici le grand Condé et sa physionomie d’aigle ébouriffé ; voici Gondy, le conspirateur-né, le jeune Bossuet, déjà sévère et réfléchi, et Corneille, le grand Corneille en personne. Au milieu de cette foule de seigneurs et de belles dames couverts de soie et de velours, le bourgeois de Rouen porte haut l’assurance et la fierté de son génie. Quoique sans morgue, on voit qu’il se sent dans une société, sinon d’égaux, au moins digne de lui ; c’est bien là l’attitude, le visage et le costume du père du Cid. La couleur du tableau est riche et bien distribuée, il y a de la force dans le dessin, de l’harmonie dans l’ensemble. M. Leman a conquis le premier grade, le plus difficile de tous. Avec le temps et la persévérance, il peut aller haut et loin.

Il y a des qualités encore dans un autre petit tableau de M. Leman, Entre la consigne et l’intérêt, mais je lui ferai toutefois un reproche capital. Le sujet n’est pas net et ne ressort pas clairement. Une femme retient d’une main par son manteau un beau cavalier qui ouvre une porte, et de l’autre lui montre une bourse. Qu’est ceci ? sont-ce des amoureux ? Alors je ne comprends pas la bourse. Si ce ne sont pas des amoureux, je n’y comprends rien. Une autre fois, je prie M. Leman de mieux éclairer sa lanterne.

Voici un artiste qui est toujours clair, lucide, facile à comprendre, M. Gérôme. Avez-vous été en Égypte ? Non, jamais ; eh bien, approchez de cette toile, vous y êtes. Une vapeur rose et enflammée s’élève là-bas, au fond de l’horizon ; le désert étend de tous côtés ses grandes eaux plates et immobiles ; quelques palmiers dressent çà et là leurs branches chétives :au milieu passe une caravane. Les chameaux suivent d’un pied lent et sûr un sentier qui s’étend à perte de vue dans le sable ; les premiers sont enfoncés déjà dans l’immensité, les autres cheminent sous nos yeux. Les voyez-vous avec leur espèce de grouin difforme, leur dos gib-