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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/56

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LE PRÉSENT.

sident Dupin, lisez Cléon ; au lieu d’Allais, lisez un nom grec quelconque, et dites-moi si jamais l’auteur des Grenouilles eût pu inventer et mettre à la scène un imbroglio de conspiration plus amusante et plus fantastique que celle de la rue des Saussayes. M. Baze est aussi d’un grand effet dans son bout de rôle comique. Il faut le voir, trois ou quatre jours avant le coup d’État, se glisser la nuit, avec une lanterne sourde, le long des murs de l’Élysée ; passer et repasser avec inquiétude devant les sentinelles bâillant à la porte du palais ; le lendemain, montrer à l’Assemblée le visage défait, pâle et fatigué d’un homme qui a passé une nuit blanche et sauvé la patrie. Une nuit, il se relâche de sa vigilance, car enfin il faut dormir : c’est la nuit du 2 décembre ; Paris se couvre de troupes ; les régiments glissent le long des murs sans crainte de rencontrer la lanterne sourde de M. Baze, et il se réveille à Mazas.

Quelles conclusions tirer de tout ceci ? Point d’autre, ami lecteur, sinon que Shakspeare était un grand homme.

Je regrette que M. de Cassagnac n’ait pas pris plus au sérieux ce grand mot d’Histoire qu’il écrivait en tête de son livre. Historien au sens propre du mot, veut dire témoin, témoin qui raconte ce qu’il a vu. Or, M. de Cassagnac raconte moins qu’il ne juge et disserte. Le simple récit cependant de ces jours d’agitation, de troubles et de sang, eût pu être une belle chose. Il y a là toutes les conditions d’une œuvre d’art véritable, telle que la comprenaient les anciens. Le sujet est un, circonscrit et néanmoins abondant. Il y a de grands noms, de grands caractères, de petites intrigues et des batailles terribles, des dévouements et des trahisons, les tumultes de la rue et l’éloquence des assemblées, la voix des tribuns et l’épée des capitainès. N’est-ce pas de quoi tenter l’ambition d’un historien ? L’émotion non plus, cette émotion mâle et forté qui convient à l’histoire, ne ferait point défaut, j’imagine, à une pareille œuvre. Il ne nous faut pas redescendre bien bas dans notre passé pour retrouver ces souvenirs. Ces rèves ont été les nôtres, ces chimères sanglantes ont été nos chimères, ces blessures de la patrie ne sont pas encore toutes cicatrisées. Toutes les éloquences pourraient être conviées à ces récits, l’éloquence de la colère, celle du dédain, celle de l’ironie, mais surtout et avant tout, la plus haute et la plus belle, celle de la pitié ! pitié tout humaine, inoffensive et qui ne saurait avoir rien de séditieux ; ces choses où beaucoup d’entre nous avaient mis leur passion n’ont-elles point disparu sans retour ?


Paul du FAYE.

({d|La suite au prochain numéro.)|4}}

Étienne MELLIER, Directeur.
PARIS, IMP. WALDER, RUE BONAPARTE, 44.