Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
LE PRÉSENT.

et inconnu, elle se taisait. Le regard de Georges brûlait le sien et lui dardait au fond du cœur mille flèches enflammées. Le jeune homme se releva, s’assit auprès d’elle, passa la main autour de sa taille souple, l’attira sur son sein, et effleura de ses lèvres comme d’un fer rouge ses lèvres roses et humides.

Ce baiser, en faisant circuler dans ses veines un feu âcre et pénétrant, la fit sortir de cette dangereuse extase Elle se dégagea de l’étreinte passionnée de Georges et se releva brusquement. Le jour commençait à poindre ; les étoiles disparaissaient l’une après l’autre ; la rosée tombait en larmes brillantes du haut des arbres ; quelques chants d’oiseaux réveillés se faisaient entendre ; elle songea qu’il lui fallait rentrer.

— Adieu, adieu, monsieur ! dit-elle, je ne puis rester davantage.

Et elle partit d’un pas rapide, laissant le jeune homme immobile à cette même place, et la regardant s’éloigner comme une blanche vision, fille du sommeil qui disparait avec le jour.

Rentrée au logis sans avoir été aperçue, Marguerite ne put fermer l’œil. Elle sentait encore sur ses lèvres la saveur enivrante de cet ardent baiser qui, le premier, avait fait fuir de son chaste cœur de jeune fille les saintes ignorances du premier âge. Ce baiser lui avait donné la science. Comme les eaux un moment troublées qui, en déposant leur limon, laissent pénétrer l’œil plus avant dans leur cristal limpide, le trouble de cette première caresse, en s’apaisant, lui faisait voir clair dans son cœur. Elle n’en doutait plus, elle aimait le jeune étranger ; elle se l’avoua franchement à elle-même ; mais sur l’heure aussi son parti fut pris, irrévocablement, à ce qu’elle croyait du moins. Elle se dit que cette passion ferait son malheur éternel par toutes les distances qui la séparaient du jeune blessé, et elle se détermina à ne plus le revoir. Il était guéri maintenant ; il était inutile qu’elle prolongeât ses visites et ses soins ; il quitterait le pays et finirait par l’oublier. Elle résolut aussi de ne plus opposer aucun délai à son mariage. Elle voulut mettre le devoir, barrière infranchissable pour les natures d’élite, entre elle et son amour insensé. Dès le soir même, elle commença à donner suite à ses résolutions, en ne retournant point à l’Etang-Joli.

Le jour vint sans que le sommeil eùt visité son petit lit de noyer, et au matin il lui sembla entendre du bruit à sa fenêtre. Elle regarda et crut voir une tête d’homme se dessiner aux carreaux, dans l’interstice laissé entre les deux blancs rideaux qui la protégeaient contre les indiscrétions du dehors. Elle se dit qu’elle rèvait sans doute tout éveillée, et elle attribua cette vision à ll’irritation de son imagination enflammée par la veille.

Un jour seulement la séparait encore de la cérémonie du mariage. Ce jour fut mémorable pour la maison du père Jarry. À midi, au moment où maîtres et serviteurs se disposaient pour le repas autour de la grande table de chène, mademoiselleClotilde de Lautages entra suivie d’un domestiqueen livrée. Chacun