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L’ANNÉE DES COSAQUES..

se leva par respect ; la noble et belle enfant courut à Marguerite, l’embrassa, et désignant du doigt un grand carton que le domestique venait de déposer sur une chaise : — Ma chère amie, dit-elle à Marguerite, avec un tout gracieux sourire, vous voudrez bien accepter ce petit cadeau de noces que je vous fais de grand cœur comme à la fille d’un vieux et bon serviteur. Ce sont des bagatelles que vous porterez quelquefois, j’espère, pour l’amour de moi. Le carton fut ouvert par la petite Jeannette ébahie, et à la grande admiration des assistants, on en tira une robe blanche simple et de bon goût, un voile de même étoffe, et un magnifique bouquet de fleurs d’oranger. Au fond de la boite, une petite bourse et une croix d’or avec sa chaîne étaient dissimulées sous des chiffons de tulle et de dentelle.

— Mademoiselle, dit le père Grandpré, c’est trop de bonté. J’accepte, car je ne veux pas infliger à votre noble cœur la douleur d’un refus, et soyez sûre que de notre vie, ni ma fille ni moi n’oublierons l’honneur que vous nous faites.

Marguerite balbutia aussi quelques remercimentsauxquels mademoiselle de Lautages se déroba bien vite, en lui recommandant de nouveau de venir la voir. Le précieux carton fut enfermé dans la plus belle des armoires, et toute la journée ; au milieu de la joie des préparatifs, on s’entretint avec reconnaissance de cette gracieuse visite. Marguerite, dans toute cette allégresse, était redevenue triste et soucieuse. La force dont elle s’était munie pour passer ces deux derniers jours était épuisée ; son énergie était tombée, comme tombe à l’approche des grands orages le souffle des vents qui les annonce. La cérémonie du lendemain ne s’offrait plus à son imagination que comme une cérémonie funèbre où on chanterait sur elle et sur sa jennesse la messe des Morts.

La nuit venue, elle s’était jeté tout habillée sur son lit et elle mouillait son oreiller de ses larmes. Que faire ? Que résoudre ? Irait-elle à cette heure refuser la main de son fiancé après avoir mangé son pain, couché sous son toit, reçu de lui une si généreuse hospitalité ? À ce moment même, son père, le noble vieillard qu’elle aimait tant, ne reposait-il point dans la maison de Pierre, et irait-elle, par un caprice déraisonnable, refuser à sa vieillesse un abri et du pain ? Et cependant ce pain, cet abri, il lui fallait l’acheter avec le plus pur du sang de son cœur, il lui fallait le payer du don de son corps et de sa vie

Toutes des pensées tourbillonnaienten s’entre-choquant dans la tête de Marguerite, et elle sentait avec angoisse le vol rapide des heures la rapprocherà chaque minute de l’aurore fatale. Chacun des sons qui retentissaient dans la nuit au clocher du village et éveillaient au milieu du repos universel les aboiements des chiens trouvait en elle un écho sourd qui la faisait tressaillir. C’était cette cloche qui, dans quelques moments, sonnerait son agonie, alors que, parée comme pour une fète, elle allait enchaîner à jamais la liberté de son cœur !…

Que cette nuit lui sembla à la fois longue et rapide ! Elle était longue, car sa souffrance lui faisait un siècle d’un moment ; elle était rapide, car chaque minute