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LE SALON DE 1857.

l’orange, le verre d’eau, le guéridon ; la couleur est fraiche et pure, le dessin gracieux et correct ; les tons en sont chauds à vous donner soif. Chez soi, est un intérieur en hiver. Madame, qui est une jeune et jolie personne brune, vient de rentrer. Elle lève son petit pied irréprochablement chaussé de satin devant un feu clair qui pétille dans la cheminée ; comme il n’y a personne dans la chambre, elle relève un peu sa robe, de façon à découvrir la plus charmante cheville du monde, une bottine adorable et le bas d’un jupon blanc brodé de dentelles ; elle a déposé derrière elle son manteau et son chapeau, et elle fait ce que fait toute femme qui n’a rien à faire, elle se regarde dans la glace, ce qui doit ètre une fort agréable occupation avec un aussi joli minois. Léché, fini, complet, ce tableau ferait un pendant ravissant à l’Été, et est tout à fait digne du talent de M. Stevens.

La réputation de M. Willems est faite depuis longtemps ; il n’a plus aujourd’hui qu’à la soutenir. Son exposition de cette année ne la fera point décroître. Sur quatre tableaux, il en a deux qui sont admirables de ton, de dessin, de couleur et de sentiment, et même dans les deux autres, inférieurs par l’ensemble, il y a encore de ravissants détails. Ainsi dans le Choix de la nuance ; ainsi dans la Visite. Un cavalier, tout de noir habillé, va rendre visite à une dame vètue de satin. Elle le reçoit et il s’incline devant elle. Il n’y a pas autre chose. Mais ces étoffes sont admirablement traitées, mais cette femme debout, en pleine lumière, est fort belle, mais surtout le visiteur est posé comme p( u de peintres sauraient le faire. Il courbe la tête, sa jambe gauche se retire, pour le salut, un peu en arrière, derrière la droite ; tout son corps est penché, sa main droite est rapprochée du cœur et la gauche tient son chapeau qui balaie la terre. Voyez-vous d’ici la vérité et le naturel de cette pose ? Mais ce que vous ne pouvez voir, c’est l’aisance, c’est la souplesse, c’est la grâce, c’est le charme d’élégance et de bonnes manières qui a filtré du pinceau de M. Willems sur la toile. — Ce petit tableau de rien, ce sont les Adieux, une perle. Ce jeune homme et cette jeune fille vont se quitter. Se quitter quand on s’aime, quand on se l’est dit et qu’on a vingt ans, c’est bien cruel. Aussi leur désolation est grande. Ils sont prèts à entrer en révolte contre la fàcheuse nécessité. L’amoureuse se jette au cou de son bien-aimé, et ce sont des larmes, des sanglots, des yeux adorables levés vers le ciel. Cette éternelle complainte de Juliette et de Roméo est toujours touchante. Je regrette seulement que ces deux désespérés soient si propres et si bien attifés. M. Willems excelle à habiller ses personnages ; leurs pourpoints et leurs robes ont toujours l’air de sortir de chez le tailleur en vogue et la faiseuse en renom. Cette élégance, que je loue partout ailleurs, ici me semble déplacée. Sans doute ce jeune homme a mis ses plus beaux atours pour aller voir sa belle ; sans doute cette jeune fille est restée bien longtemps à son miroir avant de recevoir son amant, mais ils sont restés longtemps ensemble, puisqu’il leur fallait se dire adieu, et c’est si long