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LE PRÉSENT.

Son Michel-Ange n’est pas fait pour réparer cet échec. C’était une ruae iacne que d’entreprendre de nous montrer l’atelier de Michel-Ange, ses ébauches gigantesques, les figures, sortant du bloc de marbre, énergiques, terribles, effrayantes, et au milieu d’elles, brûlé par sa pensée incessante, le maître du marbre en personne, Michel-Ange lui-même. On regrette, en voyant le tableau de M. Cabanel, qu’il n’ait pas réfléchi davantage avant d aborder un pareil sujet.

Je préfère son Aglaé. Aglaé et Boniface, las de voluptés, n’ayant plus rien à demander aux joies du monde, se tournent vers le ciel et les mystiques douceurs du christianisme. Le monde païen finit, l’orgie a été si complète qu’elle ne laisse plus après elle qu’épuisement et indifférence ; toute coupe est vide et n’a plus que la lie, toute fleur est fanée, l’étoile de Vénus pâlit à l’horizon. Cependant le christianisme vient offrir à l’humanité la joie des larmes, la volupté de la douleur, et le plaisir du martyre. Sois le bienvenu ! répond au christianisme cette humanité déchue, misérablement enfoncée dans la chair et noyée dans le vin. Et elle court aux catacombes, aux prisons, au cirque. Tel est le moment de l’histoire qu’a voulu rendre M. Cabanell. Son effort n’a point été tout à fait stérile. J’aurais voulu toutefois moins d’affaissement dans ses deux personnages,un engourdissement moins complet. Je me demande avec inquiétude où ils prendront de la force pour résister quand viendra le martyre. Au milieu de leur torpeur, j’aurais voulu voir un éclair, une étincelle qui me répondit d’eux au jour de la lutte, et qu’à la défaillance des sens fût joint, de façon bien visible, le sentiment chrétien, comme un aromate qui tout à coup relève et purifie un mets corrompu. De ses trois toiles pourtant, celle-ci me semble incontestablement la meilleure.

Léon DALÉAS.