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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/78

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LE PRÉSENT.

condition de ne pas se ressembler. — N’en doutez pas, d’autres génies, encore plus profondément trempés aux sources éternelles de la nature, brilleront après vous ; car les idées s’appellent entre elles comme les oiseaux.

En attendant, chassez l’amertume de votre cœur pour y faire régner l’indulgence. L’indulgence est une si belle chose, surtout lorsqu’elle s’applique au prochain. Ne faites plus un crime à Alfred de Musset de son printemps éternel. Autant, il me semble, blâmer Léopold Robert de n’avoir pas peint des sujets historiques. Vous le savez mieux que tout autre du reste, les poëtes et les peintres sont des miroirs où se reflètent les images qui passent ; or les images sont des femmes capricieuses. Et tenez ; admirez par vous-même à quel point elles gouvernent ; il vous a suffi de vous pencher vers la jeune tombe d’Alfred de Musset pour vous imprégner de jeunesse, de fantaisie et d’amour ; comme les ailes frémissantes du papil-on, vos cheveux blancs se sont trempés dans les calices de fleurs fraîchement écloses, l’arome des grappes mûres est monté à votre cerveau, et votre phrase joyeuse fredonne un air de vendange.

S’il en est ainsi, pourquoi proscrire sans pitié celui qui nota si bien la symphonie des bouteilles ? — À cause de ses mots propres ? En raisonnant d’après votre méthode, ne pourrais-je pas répondre qu’il faut savoir écarter les épines pour cueillir la reine des fleurs ?

Je pourrais bien vous dire d’autres choses encore, mais ma tète se trouble en voyant exécuter Rabelais. — Ô mon joyeux petit Panurge, au léger brodequin ! toi qui parcourus cette bonne ville de Paris, la satire et le flacon aux lèvres, retournant si bien ta conscience et la poche d’autrui, cousin germain de Falstaff, ami de Molière et de Lafontaine, hilare compagnon du fils de Gargantua, je ne serai pas plus sévère à ton égard que ton illustrissime protecteur ; va, je te pardonne tes mauvaises habitudes en faveur de tes bonnes plaisanteries.N’es-tu pas, du reste, sous l’égide de la gaieté gauloise ? — Désaugiers, et vous tous qui couronnez la table de chansons, tandis que d’autres y sèment l’élégie et remplissent nos verres de larmes amères, venez défendre le meilleur fils du monde. Entendez-vous ? on veut l’enterrer, et mettre en son lieu et place des ombres crépusculaires, des Vénus diaphanes et inaccessibles.

Que toute l’eau de rose du Bosphore se garde bien d’accourir à la voix de M. de Lamartine pour laver les souillures de ce livre. Outre qu’elle nous donnerait la migraine au passage, elle risque d’emporter aussi les plus augustes enseignements. Regardez plutôt, pour vous en convaincre, le bon Pantangruel. Sa belle et éclectique figure sourit à tous les systèmes sincères, et pardonne à toutes les maladies morales, dans l’espoir de les guérir à la chaleur persuasive de sa fraternité. Lorsqu’il rencontre un malheureux, sans lui demander compte du passé, il s’empresse de le soulager avec cette politesse qui double le prix des services. N’est-ce pas là une respectable expression dr la tolérance et de la charité ?