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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/80

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LE PRÉSENT.

Ces grands poëtes de 1820 (quorum pars magna Lamartinus) ont, j’en conviens, écrit des rêves splendides ; mais quelle preuve ont-ils donnée de cette virile énergie qu’ils demandent à Alfred de Musset ? Magnifiques reflets des Allemands, de Byron et des mauvais côtés de Shakspeare, ils n’ont été que les échos sonores et vagues du monde extérieur, comme l’avoue M. Victor Hugo lui-même :


C’est que l’amour, la tomhe, et la gloire et la vie,
L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie,
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore.


Malgré ses tristesses désespérantes, comme Alfred de Musset était plus humain ! Il revenait, hélas ! tout meurtri de ces mèmes combats qui ajoutent des perles à d’autres écrins poétiques, ne sachant, à point nommé, rompre un amour comme une entrave. Semblable au divin Raphaël, il se donnait tout entier. — Mais si, à la recherche d’un idéal introuvable, il est tombé expirant sur les débris de ses illusions, à qui la faute ? N’est-elle pas à vous, inventeurs de tendresses chimériques ? Où cette nature délicate aurait-elle puisé des conseils sains et austères ? Dans la Chute d’un ange ?

Puis, il faut en convenir, aveuglés comme Louis XIV par le soleil de leur propre gloire, la plupart des poètes ne tolèrent pas volontiers dans leur voisinage une pauvre petite étoile désireuse de fournir son contingent de lumière ; ils méconnaissent trop souvent cette loi divine, harmonieuse, qui entraîne tous les astres dans un mouvement universel. Voilà sans doute le motif qui a dirigé cette flèche :


… Lamartine vieilli, qui me traite en enfant.


Tranquillisez-vous toutefois, monsieur de Lamartine, le reproche n’est point fondé, pas plus que ceux que vous nous lancez avec la poussière de nos poëtes. Que vous a donc fait la jeunesse ? Croyez-vous qu’elle ait déjà perdu la mémoire de vos beaux vers et de votre sublime courage au moment du péril ? Non, je le jure ! Mais à cette heure que vous avez accompli votre rôle selon les desseins de Dieu, reposez dans votre gloire ; la paix soit avec vous, ainsi qu’avec tous les hommes de bonne volonté sur la terre ! Laissez sans inquiétude la jeunesse à ses calculs ; son excuse est le besoin. La littérature ne nourrit pas toutes les plumes, surtout celles qui n’ont pas la rapidité du vent ou de M. Alexandre Dumas père. Permettez-nous donc la spéculation et le commerce, seuls et pacifiques champs de bataille où il soit désormais permis aux peuples de se rencontrer. Lorsque le travail nous aura fait quelques loisirs, écartant les nuages dont vous ayez parfois