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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/85

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LES PHILOSOPHES AU XIXe SIÈCLE.

Bossuet, de tous les grands écrivains qui les entourent. Elles ont d’autres qualités mais moindres, et quand M. Taine aura cité un billet un peu lourd de madame la marquise de Sablé, il n’aura absolument rien prouvé contre les prédilections très fondées de M. Cousin. Bien des points seraient ainsi à noter au crayon noir, dans la critique si ferme et si légère, d’ailleurs, du jeune philosophe ; je ne puis qu’en signaler un ou deux en passant. — Nié comme philosophe, attaqué comme historien de l’époque qu’il aime par-dessus toutes, M. Cousin est loué presque sans réserve comme érudit. Voilà à quoi toute cette gloire est réduite, une grande patience dans la recherche des textes, une infatigable persévérance dans la poursuite d’un document inédit, et çà et là, dans le fatras d’une discussion philosophique, une étincelle d’éloquence qui illumine ces ombres, un souffle qui passe, qui soulève ces pages pesantes, puis les laisse retomber. M. Taine est bien cruel. J’estime à leur valeur les travaux de M. Cousin sur Proclus, sur Abailard, sur Xénophane, mais, en vérité, il a mieux que cela dans tout son bagage philosophique ou littéraire. Pour tout ornement et pour toute recommandationdans l’avenir, lui laisser ces dissertations d’école, c’est peu généreux.

L’appréciation du talent et des travaux de M. Jouffroy est plus douce ; l’éloge est moins sobrement mesuré. M. Taine a surtout rendu avec un grand bonheur d’expressions et d’images, et une sympathie délicate, la physionomie particulière de ce visage pâle, malade et réfléchi. J’eusse été étonné d’ailleurs qu’il en fût autrement. {{M.|Jouffroy} doit ètre sacré à tout homme qui porte le nom de philosophe. Il a voué à la philosophie son existence tout entière, il s’est porté à la recherche de la vérité avec une ardeur qui a consumé sa vie ; on ne peut lui reprocher d’avoir cultivé la science pour en recueillir honneur et profit ; le profit et l’honneur sont venus le chercher, et il les a payés d’une mort prématurée ; cette noble mémoire doit être respectée entre toutes ; et si un vrai philosophe vient à y toucher, il ne peut le faire autrement qu’en y portant l’auréole.

Entre toutes les questions philosophiques, M. Jouffroy affectionnait celles qui ont pour but la solution du problème de la destinée humaine. Âme religieuse par nature et mélancolique, il se refusait aux côtés subtils et non pratiques de la métaphysique pure. Il aimait par-dessus tout à sonder la mort et l’infini qui la suit.

D’une tout autre nature d’esprit est M. Taine. Plus vigoureux que délicat, plus épris des réalités sensibles que des lois invisibles qui les régissent, il est le naturel adversaire de M. Jouffroy, non moins spiritualiste que M. Cousin. Son analyse subtile, versée comme un acide sur le tissu de démonstrations du moraliste, le brûle, le calcine ; il semble n’en rien rester. Regardez-y de bien près pourtant, et ne vous laissez pas prendre à cet habile prestidigitateur de mots et de syllogismes ; comme certains gladiateurs romains nommés rétiaires, il a en main un filet de métaphysique à mailles serrées ; si vous vous le laissez jeter sur la tête, vous êtes