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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/100

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LE PRÉSENT.

jour, Actualités, Tout ce qu’on voudra, les Représentants représentés. Ajoutez à cela les deux galeries de portraits dont j’ai parié[1].

J’ai deux remarques importantes à faire à propos de deux de ces séries, Robert Macaire et l’Histoire ancienne. — Robert Macaire fut l’inauguration décisive de la caricature de mœurs. La grande guerre politique s’était un peu calmée. L’opiniâtreté des poursuites, l’attitude du gouvernement qui s’était affermi, et une certaine lassitude naturelle à l’esprit humain avaient jeté beaucoup d’eau sur tout ce feu. Il fallait trouver du nouveau. Le pamphlet fit place à la comédie. La satire Ménippée céda le terrain à Molière, et la grande épopée de Robert Macaire, racontée par Daumier d’une manière flambante, succéda aux colères révolutionnaires et aux dessins allusionnels. La caricature, dès lors, prit une allure nouvelle, elle ne fut plus spécialement politique. Elle fut la satire générale des citoyens. Elle entra dans le domaine du roman.

L’Histoire ancienne me paraît une chose importante, parce que c’est pour ainsi dire la meilleure paraphrase du mot célèbre : Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ? Daumier s’est abattu brutalement sur l’antiquité, sur lafausse antiquité, — car nul ne sent mieux que luiles grandeurs anciennes, — il a craché dessus ; et le bouillant Achille, et le prudent Ulysse, et la sage Pénélope, et Télémaque, ce grand dadais, et la belle Hélène qui perdit Troie, et tous enfin nous apparaissent dans une laideur bouffonne qui rappelle ces vieilles carcasses d’acteurs tragiques prenant une prise de tabac dans les coulisses. Ce fut un blasphème très-amusant, et qui eut son utilité. Je me rappelle qu’un poëte lyrique et païen de mes amis en était fort indigné. Il appelait cela une impiété et parlait de la belle Hélène comme d’autres parlent de la Vierge Marie. Mais ceux-là qui n’ont pas un grand respect pour l’Olympe et pour la tragédie furent naturellement portés à s’en réjouir.

Pour conclure, Daumier a poussé son art très-loin, il en a fait un art sérieux ; c’est un grand caricaturiste. Pour l’apprécier dignement il faut l’analyser au point de vue de l’artiste et au point de vue moral. — Comme artiste, ce qui distingue Daumier, c’est la certitude. Il dessine ocmmeles grands maîtres. Son dessin est abondant, facile, c’est une

  1. Une production incessante et régulière a rendu cette liste plus qu’incomplète. Une fois, j’ai voulu, avec Daumier, faire le catalogue complet de son œuvre. À nous deux, nous n’avons pu y réussir.