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QUELQUES CARICATURISTES FRANÇAIS.

brûlante, plus désolée qu’une place populeuse dont l’émeute a fait une solitude. Dans le fond, se profilent tristement deux ou trois petits corbillards attelés de haridelles comiques, et au milieu de ce forum de la désolation, un pauvre chien désorienté, sans but et sans pensée, maigre jusqu’aux os, flaire le pavé desséché, la queue serrée entre les jambes.

Voici maintenant le bagne : Un monsieur très-docte, habit noir et cravate blanche, un philanthrope, un redresseur de torts, est assis extatiquement entre deux forçats d’une figure épouvantable, stupides comme des crétins, féroces comme des boule-dogues, usés comme des loques. L’un d’eux lui raconte qu’il a assassiné son père, violé sa sœur, ou fait toute autre action d’éclat. — Ah ! mon ami, quelle riche organisation vous possédiez ! s’écrie le savant extasié.

Ces échantillons suffisent pour montrer combien sérieuse est souvent la pensée de Daumier, et comme il attaque vivement son sujet. Feuilletez son œuvre et vous verrez défiler devant vos yeux, dans sa réalité fantastique et saisissante, tout ce qu’une grande ville contient de vivantes monstruosités. Tout ce qu’elle renferme de trésors effrayants, grotesques, sinistres et bouffons, Daumier le connaît. Le cadavre vivant et affamé, le cadavre gras et repu, les misères ridicules du ménage, toutes les sottises, tous les orgueils, tous les enthousiasmes, tous les désespoirs du bourgeois, rien n’y manque. Nul comme celui-là n’a connu et aimé (à la manière des artistes) le bourgeois, ce dernier vestige du moyen âge, cette ruine gothique qui a la vie si dure, ce type à la fois si banal et si excentrique. Daumier a vécu intimement avec lui, il l’a épié le jour et la nuit, il a appris les mystères de son alcôve, il s’est lié avec sa femme et ses enfants, il sait la forme de son nez et la construction de sa tête, il sait quel esprit fait vivre la maison du haut en bas.

Faire une analyse complète de l’œuvre de Daumier serait chose impossible, je vais donner les titres de ses principales séries sans trop d’appréciations ni de commentaires. Il y a dans toutes des fragments merveilleux.

Robert Macaire, Mœurs conjugales, Types parisiens, Profils et silhouettes, les Baigneurs, les Baigneuses, les Canotiers parisiens, les Bas bleus, Pastorales, Histoire ancienne, les Bons Bourgeois, les Gens de Justice, la Journée de M. Coquelet, les Philanthropes du