Aller au contenu

Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

THÉÂTRES.

N’êtes-vous pas surpris, qu’après Poquelin Molière qui a si franchement attaqué la nature humaine, non point par ses côtés maladifs, exceptionnels, hypothétiques, mais par ses défauts vivaces, enracinés, par ces vices qui se coudoyaient dans la rue et partout, nous en soyons venus à des comédies sentimentales, à des drames possibles seulement dans les cervelles de ceux qui les ont écrits en haine de toute chose existante ?

Ce que l’on dit de la médecine : tota in observationibus, ne devrait-il pas cependant s’appliquer à la comédie et au drame ? Une pièce de théâtre, en effet, ne saurait être un rêve, une œuvre d’imagination et de fantaisie ; j’en atteste le visage de Molière fait grave et austère par la contemplation laborieuse de son siècle ; je prends aussi à témoin l’insoucieux La Fontaine, devenu pensif pour avoir seulement effleuré la comédie dans les fables.

Certes ! après Rabelais, Molière et La Fontaine, ces glorieuses expressions de notre tempérament et de notre nationalité littéraire, quelle honte de n’être pas Français dans toutes les branches de l’art ; de nous tramer à la remorque de la brumeuse et crédule Allemagne ; de gémir sous les morbides influences des fils de Fingal, au lieu d’étaler au soleil comme des grappes de raisin la richesse de notre pétulante nature !

Ayons donc désormais, si c’est possible, le cœur sur la main, le rire et les passions accusés. Ceux qui cachent leur tête dans les nuages ne sont pas de ce monde ; ils n’ont rien d’humain sous le costume, et chaque fois que je les écoute, il me semble que c’est un entonnoir qui me parle avec une voix de fer-blanc.

Trempé dès l’enfance dans la profondeur des lacs, essuyé à un nuage, bercé sous un saule pleureur, les vêtements humides de rosée, nourri d’eau claire, de parfums et de laits de poule, loin du soleil et de l’amour, un grand poëte s’est mis à la piste d’un idéal pluvieux, murmurant je ne sais quoi de ce royaume vide des ombres. Cette expression lyrique de la lymphe nous a tout gâté, même Alfred de Musset, et elle déteint encore sur la poésie et le théâtre actuels.

Rappelez-vous. L’auteur de Rolla essaie de lever la tête : il chante le vin, la beauté, l’amour, la passion, et aussitôt il efiraie comme Dante au sortir de l’enfer. Pour quelques accents énergiques et sentis, on le réprouve, on le traite même