de la nuit, et M. Geoffroy, qui compose si bien un rôle, n’a pu parvenir à faire une figure à Philippe II. Il me donnait assez bien l’idée du temple de Janus entre la paix et la guerre, à la fois ouvert et fermé.
La même observation s’applique à M. Beauvallet. Que les blâmes retombent sur l’auteur, le vrai coupable !
J’éprouve le besoin de me délasser de Gabrielle et de don Juan d’Autriche en causant un peu de mademoiselle Déjazet.
Déjazet ! ce nom à la fois euphonique et moqueur ne s’échappe-t-il pas des lèvres comme un écho de tous les amours légers, babillards, vaniteux, poudrés, élégants ? Déjazet ! c’est-à-dire, la grâce, la coquetterie, la malice, la pétulance, l’esprit ; un abrégé merveilleux de la galanterie française ; un petit lutin qui résume tout ce qu’il y a d’adorable dans l’impertinence, de charmant dans la fatuité, d’excusable dans l’indiscrétion. Déjazet ! c’est-à-dire encore un peuple de petits marquis, d’abbés de cour et de raffinés : Richelieu, Lauzun, Létorières, Vert-Vert en réduction, tous les péchés en miniature, et regardés à travers un prisme enchanteur.
Et pour faire arriver jusqu’à nous les vices amusants du royaume de LÜliput, ce talent hermaphrodite est doué d’une voix fine, habile, pénétrante, qui semble transformer un théâtre de vaudéville en une bonbonnière d’opéra-comique. Qui jamais lancera un couplet avec cette mutinerie, cette émotion délicate, cette crànerie gracieuse et leste, ce petit air mauvais sujet, débraillé et bon genre ?
Sans parler de la plus jolie création de Béranger, Frétillon, cette fille insoucieuse et gaie dans le plus simple des appareils, cette fille qui rit, aime dans un grenier, et passe sans goût à travers le luxe pour savoir un peu à quoi s’en tenir sur la soie et le velours, que n’aurions-nous pas à dire à propos d’une foule de pièces qui n’ont vécu que de la voix, du geste, de la passion, de l’exquise sensibilité de Déjazet ? Lorsque nous la perdrons, — ce qu’à Dieu ne plaise de longtemps, — quelle fée généreuse touchera de sa baguette une individualité aussi admirablement diverse ?
Cette pièce à tiroirs qui a titre Gentil Bernard (une des mieux réussies dans ce genre du reste) a l’immense avantage de vous offrir Déjazet dans presque toutes les phases de son talent.
Allez donc, ô vous tous, amis de la fantaisie, des grâces cavalières, du couplet animé qui voltige comme un sylphe ; allez entendre la voix mourante du cygne ; et vous, jeunes actrices qui ignorez tous les secrets d’un art délicat et profond, recueillez les suprêmes leçons du talent le plus original qui ait rayonné sur les planches.
Le temps et l’espace me manquent pour vous parler dignement de Shakspeare et de Schiller.
