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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/126

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LE PRÉSENT.

Deux jeunes dames me paraissent avoir donné une vie nouvelle à cet art qui semblait languir. Je voudrais exprimer ici le sentiment que chacune d’elles m’a inspiré. J’arrive un peu tard peut-être ; mais le madrigal à la Sallé et à la Camargo n’est-il pas éternel ? Le roi Salomon le savait bien. Voltaire aussi, et Jes gens d’esprit du lundi ne l’ignorent point non plus. J’avoue que si j’avais à rendre compte de Marco Spada, je serais fort embarrassé de le faire d’une manière littérale. Mon imagination ale défaut de composer elle-même son propre libretto. L’action réelle m’intéresse peu et je ne m’attache qu’aux sentiments que l’artiste m’inspire. Ainsi, j’en demande bien pardon à Mme Ferraris, mais sa jambe fine sème des couronnes de violettes ; ses bras purs répandent les lys et les épis de la Vierge ; elle transforme les bandes d’air en harmonie de neige et d’or. L’âme des fleurs se réveille sous ses pas, et sa danse est cette âme elle-même. Comment donner l’impression de sa valse légère, toute remplie d’enchantements ! Tourbillons d’atomes au soleil, frémissement d’ailes parmi les joncs fleuris, avez-vous rien de plus riche et de plus frais en même temps ? Ô Byron, triste contemplateur des valseuses enivrantes, ton humeur chagrine serait tombée assurément devant cette grâce suprême. Mais d’où vient ce saisissement général et indéfinissable ? les regards s’attachent sur un point mystérieux ; l’attention se concentre ; tout est silence. On attend. Mais quoi ? que sais-je ?… Elle paraît, elle s’avance, elle passe ; son mouvement est doux, son attitude est simple, son geste est discret. Vous pouvez vous retirer, madame. Pourquoi démontrer votre perfection ? On vous connaît. Vous êtes la souveraine, la souveraine de l’art. On vous nommera désormais la Rosati. La nature a des diadèmes invisibles, ourdis avec les plus purs rayons ; elle en couronne ses favoris, et dès lors, malgré eux-mêmes, le monde et les dieux, ils sont voués au génie, à la beauté et à la gloire.


Le pas de deux nommé la leçon de danse est rempli de l’imagination la plus riante. Et l’on doit applaudir ici le maître de ballet. Il m’importe peu que mon sentiment soit partagé, mais je donnerais toutes nos comédies à la mode pour cette seule scène d’ingénieuses galanteries. Un bal doit être donné à Rome, dans le palais du gouverneur. Mme Ferraris y invite Mme Rosati, ce qui est la chose la plus galante assurément. Mme Rosati accepte l’invitation ; et je ne crois pas être indiscret en ajoutant qu’elle le fait avec joie, car tout le monde connaît le goût particulier de cette jeune dame pour la danse et ses plaisirs magnifiques. Mais où laisse-t-elle égarer ses vœux ? Elle sait à peine danser. Son ignorance va la couvrir de confusion. Quel ne sera point son embarras devant les seigneurs et les princes ! Comme les Romaines vont en triompher, surtout les plus gracieuses et les plus belles ! Et elle exprime ces craintes à la salle tout entière, et à l’orchestre, et au balcon, et aux galeries et à la loge infernale elle-même. Cependant un petit air de doute général annonce qu’on ne les partage pas.