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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/127

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THÉÂTRES.

— Quel ennui de n’avoir jamais été au bal, et de languir sans connaître la danse !

— Ne vous mettez pas en peine, madame, dit la marchesa Ferraris. Je vous donnerai une leçon, et vous saurez tout après.

— Comment ! vous m’apprendrez les passes, madame ?

— Oui, madame, les passes.

— Et les figures aussi ?

— Et les figures, le mieux du monde.

— Mais quand prendrai-je cette leçon ?

— Tout de suite, si cela peut vous plaire.

— On ne saurait rien imaginer de plus aimable, madame.

— Voici précisément M. Mérante qui va nous jouer du violon.

La leçon de danse commence. Il est certain que Mme Rosati est au-dessus de tout dans le genre vigoureux, noble et pathétique. Mais comme elle excelle aussi dans ce qui n’est que riant et familier ! Mme Ferraris est peut-être plus légère encore. Un dialogue s’établit entre les pieds éloquents des deux danseuses : ils se consultent, ils se révèlent leurs secrets, ils rient, ils jettent des flammes, ils jouent la comédie. Quelle élégance extrême ! quelle grâce pénétrante ! quelle ironie divine ! et pardieu ! on est même fort gaies ! les immortelles le sont bien dans l’Olympe quand elles dansent les hymmes d’Homère ! Pourquoi ne le serait-on point à l’Opéra, dans les canevas de M. Mazillier ? Plus je rêve à cette scène, plus je lui trouve de perfection. Elle n’a rien de frappant tout d’abord ; et positivement elle ne remuera jamais la terre ni le ciel ; mais l’ordonnance en est savante et son jeu est plein d’éclairs ; elle vous attire, et l’on aime cet attrait. J’ai parlé ailleurs, à propos d’une attitude de danse hellénique gravée sur une pierre précieuse, du jeu brillant et moqueur de la couronne : ce jeu me paraît être l’âme du pas de deux et du pas de trois dont il est question ici. Que l’on ne prenne pas un petit air dédaigneux envers certaines beautés secrètes ; c’est avec elles que l’on compose la Réconciliation de Pâris et d’Hélène, les Noces de Dionysos, l’Ode à Lydie et le Dépit de Mariane. Je ne voudrais pas m’égarer en pareilles matières, mais il y a des harmonies éter-’ nelles qui reposent et qui s’éveillent de siècle en siècle dans des fragments de poëmes, des motifs de musique et des pas de danse.


Dans l’art de la danse, comme dans tous les autres arts du reste, les mouvements singuliers, les difficultés vaincues me laissent insensible. Les tours de force m’ont toujours inspiré une vague inquiétude. Ehl que m’importent vos pirouettes et vos voltiges ! Je ne veux pas que l’on m’étonne, je veux que l’on me touche. Mon âme, c’est-à-dire l’âme du commun des hommes, n’est qu’une divine confusion de pensées, de mystères et de rêves ; le moindre geste élégant et pur suffit pour lui imprimer un mouvement harmonieux ; un seul sentiment exprimé avec