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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/129

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CHRONIQUE.

M. Gustave Planche vient de mourir. « Nous nous en allons tous, » me disait-il en voyant passer le convoi d’un de ses contemporains, et dans son grand œil triste, je voyais comme un pressentiment d’une mort prochaine. Je craignais même que les circonstances ne fussent plus malheureuses, et qu’il ne rendît le dernier soupir, seul, dans le coin d’une mansarde, sur un grabat, sans un ami pour lui serrer la main avant qu’elle fût glacée par la mort. Cet homme fut toujours malheureux. J’en excepte les années qu’il passa en Italie, « les seuls moments heureux de ma vie, » disait-il souvent ; et il nous racontait sur ce pays quelque anecdote, bien simple, à peine joyeuse, en riant à gorge déployée, persuadé que son récit était des plus heureux et des plus drôles. J’ai entendu certaines gens, de pauvres sires, faire un reproche à Gustave Planche de la façon imprévoyante dont il avait usé de sa fortune. Il part un beau matin pour l’Italie ; il n’y a là ni plaisirs, ni joies, il y a seulement les musées, Saint-Pierre, le Vatican, des Raphaël et des Michel-Ange ; il va partout, de Rome à Florence, de Florence à Naples, dépense son patrimoine à courir les églises et les galeries, se pénètre du sentiment des grandes choses, boit à ces sources pures un peu d’espoir et de gaieté ; il veut arracher aux maîtres le secret de leur génie, il faut que sa parole fasse autorité, il sera digne du public, il saura tout entiers les sujets qu’attaquera sa plume. C’est au nom de l’art, pour la France, pour nous, qu’il a dépensé sa fortune, et compromis le repos de sa vie : qui donc oserait le blâmer et lui faire un crime de sa généreuse imprévoyance !

On a dit encore bien autre chose. On lui a fait une réputation de négligence et, comment dire ? de sordidité, qui l’a suivi partout, en le faisant toujours beaucoup souffrir. Jamais il ne pardonna à M. Janin les plaisanteries d’un goût détestable qu’il s’était permises à son égard dans l’Illustration ou dans les Débats. « Qu’il parle de mon talent, s’écriait-il avec colère et peut-être avec raison ; mais dire que je porte des cravates à la Colin et que mon chapeau ne vaut pas deux sous !