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LE PRÉSENT.

Est-ce digne, voyons ? » et il plaçait là le quoi éternel qu’il mettait au bout de chaque phrase. Je vis le moment, un jour, où il envoyait chez le feuilletoniste imprudent un mot d’abord, un cartel écrit, puis deux témoins, pour régler, suivant son langage, pour régler l’affaire d’une façon militaire. Des excuses ou à vingt pas ! c’était son mot. « Mais il ne répondra pas à ces provocations, ajoutait-il, et je passerai pour un fanfaron. « Puis il prenait une voiture et allait chez Taxile Delord ou Edmond Texier demander conseil. C’étaient, dans Paris, les deux seuls hommes sur lesquels il comptât, et dont il se crût un peu aimé. Dans chaque affaire de ce genre, il parlait d’eux. MM. Jules Sandeau et Mérimée lui étaient chers à d’autres titres. Le sénateur était, je crois, le seul homme auquel il eût demandé un service.

Gustave Planche aimait la compagnie des jeunes gens ; nous ne parlions guère littérature, et nous lui prêtions volontiers notre épaule pour arriver jusqu’à sa porte. Là, il nous serrait la main, disait toujours le même mot, « Je vais remonter dans ma tour, » faisant toujours le même geste, se collant la figure. contre la porte et attendait comme un pauvre que son concierge eût voulu ouvrir. Il fallait l’entendre, le lendemain, raconter ses misères, dire combien de fois il avait sonné, et nous prier de lui débiter encore quelques-unes des farces faites aux concierges, pour le consoler : c’était toute sa vengeance. Il riait et n’en parlait plus.

Quelquefois il priait l’un de nous de monter dans la tour, et l’on gravissait avec lui les cent cinquante ou deux’cents marches. Il se déshabillait lentement, mettait son bonnet de coton, allumait un cigare, et l’on causait ainsi longtemps. Jamais il n’était question de littérature : c’était l’histoire de ses ennuis, des anecdotes sur les hommes de son époque, et j’en ai retenu plusieurs En voiçi une. C’est un grand poëte qui en est le héros. Elle nous a tous tellement étonnés que je désire la raconter, pour ne plus l’avoir sur le cœur. Un jour chez Renduel, l’éditeur, on causait de Gustave Planche. « Est-il allé chez vous ces jours-ci ? dit le libraire. — Ne m’en parlez pas, répondit le poëte ; il n’y vient plus depuis qu’il m’a emprunté de l’argent. — Combien vous doit-il ? fit Renduel étonné, je vais vous payer. » Le poëte de balbutier et de rougir. Il avait fait gratuitement un mensonge ; Renduel conta l’histoire à Planche qui nous l’a contée souvent. Elle est courte, mais je la trouve dure ; est-elle vraie ?

Mais j’en reviens à cette accusation attachée depuis si longtemps à son nom, d’une négligence trop grande de lui-même. On l’a fait plus noir qu’il n’était. Ce brave homme se lavait les doigts au moins une fois par jour, et usait même beaucoup de savon. Sa main était toujours blanche, il l’avait assez belle et mettait une sorte de coquetterie à la soigner. Si sa barbe n’était pas toujours faite, c’est qu’elle poussait vite, et que souvent, voilà le mot ! il n’avait pas les cinq sous de rigueur pour se faire raser. Ce n’était point chez lui, comme on l’a dit, incurie et négligence, mais pauvreté, misère ! Bien des gens se figurent qu’avec son nom, sa réputation, son talent, Gustave Planche gagnait dignement sa vie et se faisait avec