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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/181

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LE SPHYNX.

Arsène trouvait un cruel plaisir à l’examiner sans lui répondre, car il croyait que du trouble et de l’incohérence qu’elle montrait en ce moment la vérité allait sortir.

— Les murs étaient à Georges, dit-il enfin, il les a fait jeter par terre parce que c’était son droit, et aussi pour vous faire penser à lui.

— La maison lui appartenait, répéta-t-elle, il l’avait achetée ! Ah ! maman, M. de Kœblin avait acheté la maison et…

— C’est la folie de l’amitié, dit gravement la vieille dame. Elle est rare !

Julie reprit sa place : Arsène se demandait pourquoi ces rougeurs subites qui lui couvraient le visage à tout moment. L’avertissement désespéré de madame André avait porté la lumière dans cette âme si chaste. Elle ! la rêveuse Julie ! aimait un homme parce qu’il était beau ! Arsène n’avait jamais été que l’idéal de ses yeux !

Les jours suivants il la retrouva distraite en apparence, plus morose que sa vieille mère et souvent irritée. Sa grâce native s’en allait par degré comme le parfum d’une fleur coupée. Elle évitait presque toujours de parler directement à Arsène, elle ne le regardait plus que sournoisement : mais le demi-dieu ne se douta jamais des souhaits qu’il lui inspirait. Elle se disait que s’il venait à être défiguré tout à coup par quelque accident, dont il ne souffrirait point, elle pourrait recommencer à l’aimer sans reproches et sans honte, comme autrefois. Le bel Onfray crut d’abord que le souvenir de son étrange absence, le jour de la visite à la nourrice, ne quittait point la jeune femme (elle lui en reparlait à dessein), ou qu’elle ne voulait point paraître oublier si vite et qu’elle le boudait comme une enfant ; mais il y avait au fond de son cœur quelque chose de plus que cette coquetterie de ressentiment, et il ne tarda pas à s’en apercevoir, quoiqu’elle ne lui eût pas fait sérieusement de reproches, et qu’elle semblât, au contraire, ne vouloir le tourmenter que pour des riens. Elle s’amusait souvent à le comparer au fameux Buckingham qui changeait de dentelles quatre fois dans une après-midi, et le plaignait railleusement d’être voué, par force, au noir et au drap d’Elbeuf, comme tous les hommes de son siècle, quand le velours et les broderies d’or auraient si bien rehaussé sa mine. Ou bien elle examinait sa coiffure à l’anglaise dont François prenait un soin religieux.

— Je vous aimerais mieux coiffé à la normande : un ou deux épis vous iraient bien, lui dit-elle un jour avec la plus belle gravité du monde.