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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/193

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LE SPHYNX.

— Il n’a pas osé ! C’est comme d’habitude, répliqua sa compagne. Madame Éléonore avait ce jour-là le sarcasme très-laconique.

— Allons-nous-en, dit Anna.

— Mais que veniez-vous donc faire ici, ma toute belle ? reprit doucement la mairesse. J’arrive : vous bondissez vers moi, vous m’entraînez ; et pourquoi ? Savez-vous quelle idée vous me donnez de votre caractère ? Ah ! vraiment, il y a plus d’un homme qui voudrait être haï par vous de cette façon-là… Voyons, chère enfant, vous vouliez le voir, lui parler…

— J’aurais seulement voulu passer devant lui, interrompit la jeune femme, en serrant l’énorme bras de madame Éléonore à la faire crier.

— Hé !… votre vœu est exaucé, répondit celle-ci en lui montrant Arsène tout debout sur le grand chemin.

Elles passèrent à moins de vingt pas de lui. Il aurait voulu les saluer, mais il demeura immobile.

— Il ne m’a point vu le regarder… dit Anna. — Éléonore, il faut que Moreau retourne à la Maison-Grise, s’écria-t-elle en arrivant au pied du château.

— Vous voulez que M. Onfray en soit chassé, comme vous n’avez pu le chasser de Kœblin, fit la mairesse. Eh bien, que me donnerez-vous demain, si je vous en apporte la nouvelle ?… Écoutez donc, mon enfant. Moreau, depuis qu’il a recouvré la parole, ne cesse de me représenter que, s’il arrive encore quelque esclandre à la Maison-Grise, le bruit en retombera toujours sur notre famille. Il dit aussi que de laisser cette Julie se perdre pour un homme qui nous a tous moqués, c’est mal entendre nos intérêts ; enfin il me demande en grâce de retourner chez elle une fois, une seule… Je ne pouvais le lui permettre. Mais depuis deux jours j’ai cessé de l’épier.

— Voulez-vous mon vieux cabaret de vermeil ? s’écria madame du Songeux en lui sautant au cou.

Éléonore se contenta de relever vers ses joues puissantes les deux coins de ses lèvres qui ne voulaient pas rire.

— Moreau est content, dit-elle ; je ne veux rien autre chose. Ah ! laissez-moi essayer d’une ou deux parties de whist avec le marquis. Vous le défendez trop, ce maquignon. Qu’en voulez-vous donc faire ?… Quant au cabaret, vous me le conserverez pour ma fête… Allons, allons ! songez que Moreau est peut-être à la Maison-Grise.