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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/214

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LE PRÉSENT.

et l’héroïque comme l’intime et le secret. Corneille est plein de traits pareils, ridicules en manteau romain, excellents en habit de cour, et d’un dialogue aussi réel et aussi juste que celui d’une comédie de mœurs.

Si maintenant de Corneille nous passons à celui qu’il appelait son père, au cok laborateur de Richelieu, à ce héros de province, de mœurs et de goût arriérés qui a conserve en pleine Fronde le sentiment et le style de 1628, à cet heureux Rotrou dont la sincérité poétique est attestée par la noble mort, et dont Caffiéri a fait le type du poëte, ce n’est pas à Abraham Bosse, homme paisible et qui ne court guère les aventures et la campagne, qu’il faut nous adresser pour avoir des costumes convenables, mais au peintre de la grande route et des camps, à l’aventureux lorrain Jacques Callot. Pour bien saisir le Venceslas, il faut se représenter ces grands soudards du Siège de la Rochelle et des Misères de la guerre, au chapeau pointu et emplumé ramené sur les yeux, aux bottes fortes, aux moustaches à trois poils, race fine mais fortement trempée, gens policés à neuf, retournant vite à la nature dès que la passion les rend fous, et se permettant alors le brigandage et les violences de toutes sortes, ainsi que nous l’indiquent les vers lamentables placés au bas des estampes. Tels sont les héros de Callot, tel est aussi le Ladislas de Rotrou : Venceslas son père lui reproche en propres termes de détrousser les passants ; plus loin Cassandre, la princesse qu’il épousera au cinquième acte, après avoir tué son frère et rival, lui reproche l’effort brutal et suborneur de sa passion :


Qui, tant que sa poursuite a cru m’avoir infâme,
Ne m’a point souhaitée en qualité de femme ;
Et qui, n’ayant pour but que ses sales plaisirs,
En mon seul déshonneur bornait tous ses désirs.


C’est un amour sauvage que cet amour d’abord rebuté et méprisé, puis se communiquant par sa violence même. Cette passion ne connaît pas la vanité de bien dire, elle mêle les injures grossières et les menaces aux flatteries hyperboliques ; ce sont de rudes vers qui l’expriment : nulle lutte entre elle et les convenances, comme chez les héros de Corneille.

Les gens de goût de la fin du xviiie siècle ne manquent pas de faire remarquer les indignités dont fourmille Venceslas, Je le crois bien ; de leur temps, Ladislas, en bel habit de satin couleur de chamois, sans moustaches, poudré, pomponne, devait rendre tout à fait incompréhensibles cette poésie barbare et ces amours féroces. Ces gens de goût, mais d’un goût exclusif, connaissent fort bien les classiques latins, mais sont de peu de critiqua quand il s’agit de reconstruire l’époque de Louis XIII ; au lieu de chercher dans Rotrou ce que nous y cherchons maintenant, les mœurs et les idées de ce temps, ils n’y cherchent que l’expression générale et tèmpcrée des passions humaines, et, à une telle mesure, le trouvent fort défectueux.