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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/243

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REVUE DES COURS PUBLICS.

M. Aubertin, l’auteur de la thèse dont je parle[1], conclut de même, mais après avoir longuement énuméré toutes les hypothèses qui, au moyen âge surtout, avaient fait croire au christianisme de Sénèque. C’est assez dire que sa thèse est un gros volume : les docteurs ès lettres n’en font plus d’autres aujourd’hui. Pour prouver contre le moyen âge, on a dit que saint Paul manque d’instruction choisie, qu’il ne sait ni les poètes, ni les philosophes grecs ; « c’est un barbare, dit Bossuet, qui ne sait pas couvrir des fleurs de la rhétorique la face hideuse de son Evangile ; les délicats de la terre, qui ont les oreilles fines, sont offensés de la dureté de son style irrégulier. » Et voilà l’homme qu’on a mis en communication d’idées avec le savant, le disert, l’élégant, le philosophe Sénèque ! J’avoue que c’est là un faible argument. On peut ne pas se ressembler pour se rapprocher ; on ne se rapproche même le plus souvent que parce qu’on diffère. Mais, il y a des raisons plus solides pour ne pas admettre la liaison du philosophe et de l’apôtre.

Los amateurs de curiosités littéraires, les enthousiastes des premiers temps chrétiens, les admirateurs de Sénèque qui voulaient mettre d’accord leur amour pour le philosophe païen avec leur christianisme, ont essayé d’y chercher un théologien chrétien et ils y ont trouvé le péché originelles sacrements, l’incarnation, tous les grands principes du dogme. On trouve toujours dans un livre ce qu’on y veut trouver, quand on a eu soin de l’y mettre.

Par exemple, Sénèque a dit, dans son traité des Questions Naturelles : « Nous sommes tous réservés à la mort. C’est un arrêt prononcé en toute justice.» On en a conclu que, puisque le châtiment était équitable, il y avait eu nécessairement un péché antérieur, et que, par suite, Sénèque avait voulu parler du péché originel. Le Debemur morti nos nostraque, le Mors æquo puisat pede d’Horace auraient pu, par le même raisonnement, aboutir à la même conclusion. Il suffisait pour cela d’un peu de bonne volonté. Sénèque parle-t-il de la raison incorporelle, de l’Esprit divin ? Pour les fanatiques prévenus, c’est le Verbe et le Saint-Esprit qu’il a voulu désigner.

Sont-ce là, je le demande, des raisons péremptoires ? En 567, un concile de Tours cite une pensée de Sénèque qui ne se retrouve pas dans ses œuvres. En faut-il inférer, ainsi qu’on l’a fait, que Sénèque était regardé comme un Père de l’Église ? Grégoire de Tours fait citer Virgile à Clotilde dans le discours qu’elle tient à Clovis pour le convertir. Cela prouve-t-il que la nièce du roi des Burgondes connaissait le païen Virgile ? De tels arguments se réfutent d’eux-mêmes. Quoi ! Sénèque a parlé et écrit à saint Paul, et personne des commensaux, des amis du philosophe, et aucun des ennemis du ministre en faveur ou en disgrâce, personne, pas même Néron, qui avait corrompu la fidélité d’un de ses affranchis,

  1. 1 vol. ini-8o, chez Durand, rue des Grès, 7.