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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/270

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LE PRÉSENT.

le pays pour un parfait honnête homme. En politique il était conservateur, bien qu’il prisât son tabac dans une tabatière ornée d’un portrait du général Foy, et qu’il eût décoré son cabinet d’une gravure représentant le serment du Jeu de Paume. D’une élégance qui lui avait valu dans son printemps le titre de dandy, il en était arrivé à la redingote de castorine et aux souliers de daim noir.

La dame avec laquelle il causait était sa sœur, âgée comme lui d’environ cinquante ans, veuve de M. Casimir, mort à la fleur de l’âge, et mère d’une belle et unique jeune fille appelée Valentine. Madame Casimir possédait une fortune égale à celle de son frère.

M. Duprat et madame Casimir avaient, depuis plus de dix ans, renoncé à convoler en secondes noces, et cette résolution une fois prise, ils avaient formé deux autres projets, celui de vivre ensemble, et celui d’unir Mathieu à Valentine, lorsque le moment serait venu. Tout contribuait d’ailleurs à rendre ce mariage possible, puisque Mathieu n’avait que six ans de plus que sa cousine.

Madame Casimir avait sur toutes les choses de ce monde une manière de voir tout à fait particulière, qui la faisait murmurer sans cesse contre nos mœurs actuelles. Tout ce qui se passait autour d’elle lui faisait regretter le temps passé. La façon dont les mariages se concluent à présent, la mettait dans des fureurs épouvantables, qui se terminaient toujours par cette phrase : Certainement je veux bien que Mathieu épouse ma Valentine, mais à la condition qu’il briguera sa main comme une récompense, et que des soupirs bien tendres échappés de sa poitrine trahiront l’émotion de son cœur.

Comme son frère était chargé de l’administration de sa solide fortune, elle pouvait se consacrer entièrement à sa fille, et méditer tout à son aise le programme de la félicité qu’elle rêvait pour cette chère enfant. Une seule personne obtint la faveur d’être son confident pour cette sérieuse préparation : ce fut son médecin, le docteur Barbé, brave homme, vivant en dehors de toutes les Facultés et exerçant la médecine en vertu de problématiques diplômes ; mais, à défaut de grades académiques bien prouvés, il avait pour lui une longue expérience. C’était lui qui avait mis Valentine au monde ; il prétendait connaître par cœur le tempérament de cette intéressante sensitive, qu’il disait avoir sauvée deux fois, lors de sa coqueluche et lors de sa dentition. Madame Casimir était d’ailleurs parfaitement de son avis ;