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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/271

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ROMÉO II.

aussi, dans les moments d’épanchement, disait-elle à son médecin : J’ai donné le jour à ma fille, mais c’est vous qui le lui avez conservé !

Or, madame Casimir, ayant fait part à M. Barbé du projet qu’elle avait formé de donner à Valentine son cousin Mathieu pour mari, lui demanda quels étaient Perdre et la marche à suivre pour mener a bonne fin un acte aussi important.

M. Barbé, après mûre réflexion, lui avait prescrit de ne marier Valentine qu’à dix-huit ans révolus, afin de ne point devancer la nature et de ne pas détruire en herbe ces trésors qui, bien ménagés, doivent assurer pendant vingt ans au front qui les possède, ce qu’il appelait, dans sa rhétorique de docteur, le sceptre de la beauté.

Il n’y avait rien d’extraordinaire dans cette prescription, mais, par malheur, M. Barbé ne s’en était point tenu là ; il avait exigé que Mathieu cessât de voir sa cousine pendant les cinq années qui devaient précéder leur union, seul moyen, selon lui, pour qu’au jour du mariage les deux fiancés pussent être amoureux l’un de l’autre. Enfin, il avait prescrit, tout en maintenant l’isolement, qu’on parlât souvent à Valentine de son cousin, afin d’agir sur cette fibre délicate de la femme qui s’appelle la curiosité.

M. Barbé, pour prévenir les objections qu’un tel système aurait pu soulever, l’avait présenté ainsi à madame Casimir :

— Si vous permettez à ces deux fiancés de jouer sans cesse ensemble, ils franchiront à leur insu la limite qui sépare l’enfance de la jeunesse, et il leur sera impossible de substituer la galanterie des amoureux au sans-façon des gamins. Mathieu ne verra dans Valentine qu’une petite fille qu’il tyrannise, et Valentine dans son cousin qu’un despote voulant faire marcher ses poupées au son du tambour. Le seul moyen de remédier à ces inconvénients, c’est l’absence. Or, Valentine devant se marier à dix-huit ans, il faut, dès qu’elle aura atteint sa treizième année, que Mathieu la quitte et s’en aille demander à Paris le complément de son éducation.

Ce plan, adopté sans appel par madame Casimir, fut soumis à M. Duprat ; il fallut l’accepter. Mathieu fut conduit à Paris : on lui recommanda d’être studieux, de lire les bons livres, de méditer les graves penseurs, et surtout de ne se gâter ni l’esprit ni le cœur par la lecture des romans. Après ce chapitre de morale auquel tous les pères attribuent la vertu de préserver leurs enfants des embûches du