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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/286

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LE PRÉSENT.

tant de durer longtemps, Mathieu s’éloigna et rencontra tout aussitôt madame de Sévigné.

— Oh ! jeune homme, lui dit-elle, je suis charmée de vous voir ; vous pouvez me rendre un grand service. J’ai commis quelque part dans ma correspondance une hérésie que je voudrais bien faire disparaître. J’ai osé dire que Racine passerait comme le café ; s’il est vrai l’un et l’autre ne sont point passés, faites effacer de mes œuvres cette fausse prédiction.

La docte marquise, le grand bas-bien en était là, lorsqu’une ombre drapée dans une tunique intervint brusquement.

Cette ombre était celle de Sapho, la dixième muse.

— Ne tiens aucun compte, dit-elle, de la recommandation que vient de te faire la Sévigné. S’il fallait effacer de sa volumineuse correspondance les ridicules et les erreurs que des aveugles s’obstinent à prendre pour des chefs-d’œuvre, de ses innombrables lettres, il ne resterait pas un simple post-scriptum. Au point de vue de l’esprit et du bon goût, le récit de la mort de Vatel et les dissertations sur la grossesse de madame de Grignan sont des énormités bien plus fortes que la négation de Racine et du café. Laissons se dissiper peu à peu la fausse réputation faite aux épîtres de cette femme bavarde et quant à toi, si jamais tu te maries, n’épouse pas une femme de lettres, ou bien le sort de monsieur de Sévigné t’attend.

La dispute en resta là. Mathieu poursuivit son chemin et bientôt s’arrêta devant deux ombres formant ensemble un groupe très-gracieux : c’étaient celles de la reine Cléopâtre et du cardinal de Retz. Cléopâtre s’était emparée de ce certain poignard que le cardinal portait en guise de bréviaire, pour le placer dans la moite vallée de sa gorgerette.

— Si les armuriers d’Alexandrie, disait-elle, avaient su fabriquer une arme aussi gracieuse, c’eût été avec sa pointe, et non avec le dard d’un aspic, que je me fusse donné la mort. Poignardez-moi, mon cher cardinal, afin que je puisse comparer si ce genre de trépas est moins douloureux que celui qu’il m’a fallu endurer.

Le cardinal de Retz refusait de céder au caprice de la reine, n’osant point aller prendre le poignard dans le tentateur endroit où il était placé, et ne voulant pas, disait-il, s’exposer à la fureur de César.